Attention texte long


Je suis content d’avoir joué à Black Flag. J’avais besoin de cette retrouvaille avec Ubisoft pour comprendre que, définitivement, ce n’est pas pour moi. Pas seulement les jeux Ubi, mais la recette Ubi. Et donc je sais désormais qu’il ne faudra plus espérer grand-chose de cette recette.


Ce n’est pas grave, car il y a des tas d’autres jeux qui m’attendent, et qui sont susceptibles de me plaire. Je n’en veux pas à ces jeux d’exister, il en faut pour tous les goûts. En revanche j’ai besoin d’expliquer pourquoi Black Flag m’a tant ennuyé, au point qu’une fois de plus, j’ai fini par l’abandonner.


J’annonce que dans cette critique, je vais pointer des évidences. Des mécaniques de jeu connues de tout le monde, souvent acceptées comme normales. Et on pourra légitimement me dire “hey mec tu savais très bien dans quoi tu te lançais, à quoi ça sert de critiquer ça ?” Ce à quoi je réponds : si personne ne pointe précisément ces défauts, ça va continuer à proliférer, et c’est à cause de ça qu’on se tape des jeux de merde depuis des années. Merci de votre compréhension.


Tout sauf un bon jeu de pirate


C’est une formule un peu provoc, mais c’est un truc que je pense vraiment.


Black Flag n’est pas un bon jeu de pirate, car il expulse toute l’aventure et le mystère qu’on est en droit d’attendre d’un univers de piraterie pour n’en garder qu’une image, une esthétique, une coque vide en somme.


Ma première surprise, très désagréable, en démarrant le jeu a été de constater que la map affichait toutes les îles de l’archipel. Il n’y aurait donc jamais de navigation à l’aveugle, d’exploration de terres inconnues, de pirates en haut du mas criant « terre en vue ! » après avoir été perdu en mer.


Il aurait été plaisant que la map se dévoile au fil de notre avancée. Ou bien alors que compléter la map fasse partie de l’aventure. Par exemple : réussir une mission et gagner l’emplacement de l’île sur laquelle nous attend notre prochaine mission (Wind Waker fait ça). Ou bien encore aborder des îles sans connaître leur forme, et devoir gagner leur carte d’une quelconque manière. Ça, ça aurait été sympa, et c’est le minimum qu’on puisse attendre d’un jeu d’exploration maritime.


Deuxième constat : j’ai été triste de voir que le coffre n’est utilisé que comme un motif, lui aussi vidé de son caractère aventureux. Les coffres nom de dieu ! Il n’y a rien de plus intriguant ! Un pirate, ça passe son temps à chercher des trésors non ? Ça réunit des indices, puis part à l’assaut de terres inhospitalières pour chercher de l’or. Mais dans Black Flag les coffres sont de simples collectibles dispersés un peu partout. Ils sont là, ils traînent devant tout le monde, n’importe qui pourrait se servir, et ils nous attendent sagement. On en trouve par dizaines dans les grandes zones. Le jeu nous dit « tiens il y en a un là, là, là, ici, là, et ici, vazy sers-toi. ». Cet objet un minimum respecté dans TOUS les jeux d’aventure, dans TOUS les rpg, et qui aurait mérité un traitement de faveur dans un univers de pirate, Ubi n’en fait rien du tout. Pour moi les coffres de Black Flag me renvoient simplement au bouton B de ma manette, rien de plus. Je n’ai pas à les chercher, je ne peux même pas décider d’en refuser le contenu, j’ai simplement à appuyer sur B.


Heureusement, il y a quand même des cartes au trésor. Oui ! Des petits dessins, avec indices et coordonnées des îles, qui nous laissent deviner l’emplacement de trésors cachés. Des coffres différents de leur cousin collectibles donc. Et là je dis yes ! C’est fou comme ça devient de suite plus engageant, plus excitant de devoir chercher soi-même. C’est bien la preuve qu’ils en sont capables. Que peut-être au sein du studio, une équipe a demandé discrètement « hey patron ? on pourrait aussi faire chercher des coffres au joueur ».


Dernier point pour enfoncer le clou : l’open world est des plus inintéressant. Voilà c’est dit. Quand on a vu trois ou quatre îles aux topographies différentes, on ne verra ensuite que ces mêmes topographies en boucle. Toujours les mêmes baraques sur pilotis, les mêmes architectures d’une ville à l’autre, les mêmes temples et même jungle couloir. Les décors sont très beaux hein, mais ça ne suffit pas. Au bout de 20h de jeu, j’ai cessé de croire qu’explorer la map me ferait découvrir des choses. On ne découvre que du recyclé.


Pourtant là encore, quand on y pense, il n’y a rien qui se prête mieux à la création de petits-mondes qu’un archipel. C’est même plus facile de créer des environnements distincts dans un tel cadre, que dans un open world classique. Car les îles, eh bien c’est isolé, et donc parfait pour être level designé, sans avoir à être rattaché à un autre environnement. Le jeu de pirate parfait, ce serait un jeu où chaque île offre un bout d’aventure différent, des nouveaux visages à croiser, des grottes, donjons, forts variés avec leur lot de secrets. Pour trouver ça, il faut peut-être se tourner vers Pillars of Eternity 2, Risen ou Sea of Thieves. Mais pas Black Flag. Car Black Flag n’envisage pas les îles de cette manière, mais seulement comme des paysages copiés/collés où entreposer des bidules à collecter.


Tout sauf un jeu de grimpette


J’ai un problème avec le feeling du parkour. Il suffit de pousser la gâchette et le mec grimpe partout. J’en comprends l’intention : nous faire incarner un freerunner de talent, sans le moindre effort. Tout mettre au service de l’animation cool, de la fluidité, de la rapidité de déplacement. C’est stylé, c’est voulu, mais en revanche c’est très chiant.


C’est très chiant quand le jeu va essayer de nous faire croire qu’on grimpe des parois compliquées, et qu’on fait un peu de plateforme. La vérité c’est qu’on n’en fait jamais. Tout ce qu’on fait, c’est chercher le relief suivant vers lequel pousser le joystick. Mais jamais on ne saute, jamais on évalue une distance, jamais on ne dose un saut. Lorsqu’on tombe, c’est parce qu’on a mal lu l’environnement. Il n’y a pour ainsi dire aucun défi lié à la grimpette, alors que le jeu veut parfois nous faire croire le contraire (cf : les scripts de falaise qui s’effondrent une fois dessus, seule manière ridicule de simuler du danger).


L’autre truc qui me chiffonne, c’est l’impression de ne pas bien contrôler mon personnage. Combien de fois ce connard a sauté sur une corde quand je voulais sauter à côté ? Combien de fois s’est-il caché dans un feuillage alors que ce n’était pas mon intention ? Quand ça arrive au beau milieu d’une mission course-poursuite, c’est vraiment casse bonbon. C’est que pour créer cette fluidité, les développeurs ont nécessairement dû penser les déplacements comme des interactions-environnement automatiques. Un petit coup de joystick suffit pour tout accomplir.


Je comprends que créer un pilotage cool et immédiat, c’est renoncer à la précision. Mais renoncer à la précision, c’est renoncer à tout ce qui aurait pu nous immerger dans la peau d'un assassin souple. Devoir fournir une forme d'effort plateforming pour atteindre sa cible, ça aurait été cool non ?


Dans un genre différent, mais tout aussi chiant, on pourrait évoquer le feeling désagréable des jeux Rockstar Games. Je déteste la lourdeur, la latence des personnages de GTA-Red Dead. Impossible de sortir d’un bâtiment sans se prendre une porte. Et bien dans Assassin’s Creed, impossible d’avancer vers un muret sans que le mec décide de se percher sur le muret.


Ubisoft est incapable de créer un jeu


Une bonne partie de l’aventure principale de Black Flag ne sert qu’à introduire les activités annexes. Des activités ma foi très sympas. J’y reviendrai d’ailleurs.


Mais sous prétexte d’une introduction progressive de ces activités, il y a aussi une forme d’échappatoire. On sent que le jeu veut nous occuper avec autre chose, nous faire oublier ses missions filatures et son infiltration qui n’évoluent pas. C’est comme si Ubi n’arrivait pas à créer un jeu avec leur jeu.


J’entends par là, qu’ils n’arrivent jamais à faire évoluer le cœur de leur gameplay d’infiltration. La première mission course-poursuite qu’on fera au début du jeu ne sera pas différente de la dernière. Pareil pour les filatures et les infiltrations. Alors que, comme dans n’importe quel jeu d’infiltration, on aurait pu être amené à pénétrer des endroits de plus en plus dangereux, de plus en plus complexes. On aurait pu progresser dans le combat, progresser dans la grimpette. C’était chose faisable, même avec le système mis en place. D’ailleurs au bout de quelques heures, le jeu nous donne un accessoire pour l’infiltration: la sarbacane. Pour moi c’était un signe évident que le jeu allait me confronter à des level design plus ingénieux, des endroits toujours plus denses à infiltrer.


Tous les jeux d’infiltration font ça, même les plus anecdotiques. Suffit d’allumer un Sly Cooper pour le constater. Une bonne infiltration, c’est d’abord un level design qui sait nous mettre dans des situations de plus en plus intéressantes, sans forcément avoir besoin de renouveler l'arsenal d'ailleurs.


Dans Black Flag, la sarbacane aussitôt gagnée, on a l’impression que le jeu baisse les bras. Qu’il a tout donné, et qu’il ne pourra pas donner mieux. On traverse alors un énorme ventre mou avec des missions redondantes.


Au bout d’un certain temps, j’ai senti que le jeu n’évoluait plus. Enfin, pour être plus précis : j’ai senti qu’il n’avait jamais évolué.


La chose bizarre étant que les gameplays annexes eux-mêmes évoluent peu. La seule chose qui progresse ce sont les capacités de notre personnage et de notre bateau. Mais les activités en elles-mêmes, une fois mises en place, vont toujours finir par se répéter, plutôt que de se complexifier.


Black Flag est alors construit d’une manière étrange. Davantage un long didacticiel qu’un jeu. Un longue introduction de mécaniques, aussitôt figées dans leur concept, seulement bonnes à se répéter.


Et donc on en vient au point suivant.


La peur du vide


La map de Black Flag n’est qu’un énorme espace où égrainer des centaines de merdouilles à accomplir. Certaines sont des corvées aussitôt lassantes: synchronisation, coffres, fragments d’animus, chasse. D’autres sont plutôt plaisantes: attaque des forts, batailles navales, plongées sous-marines, carte au trésor.


Mais c’est toujours le problème avec Ubi. Non seulement l’activité ne devient vite qu’un moyen pour gonfler artificiellement le temps de jeu, mais en plus elle ne cherche même pas à varier dans ce qu’elle propose.


Si on prend l’exemple des plongées sous-marine, il y aurait eu moyen de créer, par un simple travail de level design, des zones plus ou moins dangereuses et singulières. Histoire que chaque plongée soit unique. Pareil pour les forts, pareil pour la pêche au gros.


Un autre bon exemple de cette manie du remplissage, c’est la balade en mer.


Prenez une balade au large dans Black Flag : le game feel est bon. La houle, le vent, les chants rendent la navigation plaisante. On sent qu’Ubi a bossé sérieusement tout ça. Mais là encore, on va régulièrement croiser des choses : des navires ennemis, des mecs à repêcher, des caisses de vivres, des tempêtes, quand ce n’est pas les petits îlots avec seulement 1 coffre ou 1 fragment à ramasser. Bref, on sent que les développeurs ont affreusement peur du vide. Impensable pour eux de laisser vivre la mer, de sublimer le travail d’ambiance maritime. Ils préfèrent polluer cette mer avec plein de choses à faire, de peur que le joueur s’ennuie de ne pas avoir accompli X truc pendant 20 secondes.


Aussi, l’archipel de Black Flag ne respire pas. Ça me renvoie au désert de Read Dead Redemption, absolument pas désertique, puisqu’on y croisait un évènement tous les 100 mètres.


On me dira alors : “oui, mais on va quand même pas créer des open worlds vides dans lesquels tourner pendant des heures ?”


Je réponds : “Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas habiller cet open world avec moins d’actions, mais des actions uniques ?". J’aurais adoré avoir des vraies îles avec des vraies choses passionnantes à faire dedans. Avoir dans la mer des zones bien spécifiques dédiées à des évènements uniques. Une grotte ici, quelques forts là, un énorme requin à pêcher dans ce coin de la mer, et une map qui me laisse parfois sans rien faire, sinon naviguer.


Pour conclure


Moi je ne la vois pas la liberté, je ne la vois pas l’aventure. Il y a bien l’image du pirate, mais pas sa vie.


Et étant de moins en moins patient pour ces conneries, je me suis retrouvé au bout de 30h à être découragé dès que j’ouvrais ma map.
Voilà d’ailleurs un truc que je pouvais accepter gentiment à 15 ans, mais qui aujourd’hui tue mon engagement. Aussi parce qu’il y a tellement de bons jeux à côté, qu’à mon sens, cette formule débilitante ne peut plus faire le poids. Lorsque j’ouvre le menu et que je vois cette constellation de bullshit à accomplir, je suis fatigué d’avance, et tenté de désinstaller le jeu.


ce que j’ai fait…

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le 11 déc. 2021

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