Une table dans la pénombre ; un couteau et un pois(s)on. Minutieusement, une paire de mains en extrait les organes puis une substance qui ne peut qu’être néfaste.


Zombi Child est déroutant en bien des aspects, immense jeu de piste se présentant au spectateur sans immédiatement lui donner les clés de lecture.
Bertrand Bonello est un des rares cinéastes à penser ses œuvres comme un tout plutôt qu’un assemblage de parties. Les bribes qu’il filme n’ont pas de sens en soi mais sont signifiés par l’ensemble et leur disposition dans ce dernier.
Bonello est en quelque sorte un cinéaste de la fin ; ou de la coda, s’il fallait faire dans la métaphore musicale. Le réalisateur a en effet été musicien avant d’être cinéaste, il signe d’ailleurs la bande originale du film.
C’est ce sens du découpage qu’on ne peut ignorer dans Zombi Child. Le film explore deux temporalités : l’une passée, l’autre présente. Les deux se mêlent et se répondent ; la chronologie n’est pas niée pour autant. Si le passé semble fixe au départ, le présent est structuré autour de l’attente du personnage de Louise Labeque de ses retrouvailles avec son amour de vacance, et donc plus matériellement, des vacances de la Toussaint.
Présent et passé communiquent, presque l’air de rien ; les jeunes filles se réunissent autour de bougies dans une salle de leur internat, figurant à leur manière une cérémonie dont elle ne devraient pourtant pas avoir les clés.
Bonello excelle dans l’écriture des moments de vie de cette jeunesse - certes légèrement trop fascinée par Damso pour être crédible - au sein du lycée de la Légion d’Honneur. Au-delà des thématiques propres aux passions d’un groupe de jeunes filles, il intègre l’amour, la notion d’héritage et, plus discrètement mais avec une importance croissante, du vaudou.
Patrick Boucheron vient donc donner un cours d’histoire - bien au-dessus de leur niveau - sur le libéralisme aux lycéennes : le lien avec Nocturama est tangible : on croirait que Bonello ajoute des mots à son film précédent.


Dans les derniers instants du film, le documentaire et le surnaturel s’opposent et viennent se confondre. Une cérémonie en Haïti répond à une cérémonie en banlieue parisienne, ou peut-être l’inverse ; une force immémoriale vient rappeler qu’existent des règles, et par conséquent, des rétributions comme des punitions.
Bien que Bonello ne joue pas dans son film, on croirait en bien des aspects retrouver le François Truffaut de La Chambre verte, ce cinéaste en plein vertige dans sa propre fiction. Pour le réalisateur, le vaudou est bien plus qu’une culture qu’il aurait croisée pour l’un de ses films.


Un unique regret, presque anecdotique. Le film comporte un unique split screen, artifice stylistique qu’on avait pourtant l’habitude de retrouver chez Bonello. Ce dernier est pertinent et innove - y sont associés écran du téléphone et visage de son utilisatrice - mais léger en comparaison avec ceux présents dans les autres films du réalisateur.

oggy-at-the-movies
9

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le 30 juin 2019

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