Zéro de conduite par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Les vacances scolaires sont finies ! Nous voici projetés au cours des années 1930 dans un collège de Saint-Cloud à la rentrée scolaire. Dans ce sinistre établissement les élèves ne sont pas épargnés, la seule pédagogie se résume à une discipline de fer menée par un directeur bien entouré de professeurs plus directifs les uns que les autres.
Dans ce triste lieu un nouveau surveillant aux allures de "Charlot" fait son apparition et par son comportement vis à vis des élèves il se révèle beaucoup plus proche d'eux , modérant un peu la rigueur des lieux.
La fermeté a ses limites et le comportement équivoque d'un professeur en pleine classe va provoquer un cataclysme, la révolte des élèves contre les adultes pour obtenir leur liberté et la fin de la soumission.

Pour vraiment apprécier ce film et la gravité de son sujet, il convient de se reporter à ces années d'entre deux guerres pour se rendre compte de l'éducation disp ensée aux enfants. Il convenait de leur offrir un savoir dans le "ton du moment" : discipline et soumission aux adultes. Il s'agissait de former cette jeunesse à devenir de bons citoyens malléables aux ordres de l'adulte, seul maître à bord. La hiérarchie étant bien établie, seul les adultes avaient droit à la parole. Il n'était pas question qu'un enfant émette un choix car celui des ainés était alors incontestable.

Je vais mettre cette société dans le contexte du vécu de Jean Vigo, le jeune réalisateur. Par certaines de mes critiques de films je vous ai parlé de son œuvre, une œuvre beaucoup trop peu fournie fort malheureusement.
Jean Vigo est né dans la capitale en 1902. Son père est anarchiste et lorsque celui-ci meurt, Jean se retrouve seul avec sa mère qui l'abandonne. Il va fréquenter quelques écoles sans trop se faire de copains peut être à cause de quelques larcins et déboires venus à la connaissance de certains.
Sa scolarité terminée, Jean Vigo est recueilli à Nice. Il fait l'achat d'une caméra et va filmer la ville et ses estivants. Ce sera en 1930 "A propos de Nice" dont vous pouvez lire ma critique. Il tourne en 1931 ce film parlant "Zéro de conduite" mais malheureusement pensez bien qu'un pareil sujet ne plaît pas à l’État et le film est censuré en 1933.Il ne sortira qu'en 1945, bien après sa mort.
Vient ensuite son film majeur, seul long-métrage, 'L'Atalante" (voir ma critique). Le cinéaste est déjà bien malade de la tuberculose et c'est de cette maladie qu'il décédera quelques temps plus tard en 1934.
"Zéro de conduite" a été tourné dans l'un des sinistres collèges que fréquenta Jean, à Saint-Cloud, cadre d'ailleurs fort bien choisi. Les comédiens adultes et enfants ne pouvaient que reproduire à la perfection les sentiments ressentis par Jean durant sa présence en ce lieu.
On va percevoir assez vite le caractère militant du réalisateur par des détails très importants. Le directeur, un nain pas commode du tout, fait penser à un homme qui assouvit son handicap par la méchanceté mêlée à un complexe de supériorité très prononcé. Ses subordonnés ne bronchent pas et abondent en son sens. Seul Huguet, le jeune surveillant qui ressemble tant parfois à "Charlot", représente dans cette équipe la liberté.
Les élèves ne bronchent pas non plus dans les dortoirs, néanmoins trois d'entre eux se montrent un peu plus espiègles et comploteurs, prêts à entraîner les autres Et puis il y a Tabard, le plus calme à la tête d'ange, pas très bien vu des autres, qui va tout à coup lâcher au professeur un mot qu'il a sur le cœur, après un comportement très condamnable de celui-ci envers lui. C'est le coup de tonnerre et le mouvement pour la liberté des enfants part comme un boulet de canon...

Pour cette réalisation, Jean Vigo c'est entouré de comédiens très convaincants à commencer par Jean Dasté, dans le rôle clé d'un surveillant anticonformiste, solidaire avec cette jeunesse opprimée. C'est lui qui représente ici les convictions du réalisateur dans le monde des adultes. A l'opposé Delphin, le principal du collège se venge de son physique en imposant sournoisement et de manière autoritaire son inflexibilité exacerbée vis à vis de la nouvelle génération soutenu par un escadron de surveillants à sa botte interprétés par Robert Le Flon, le surveillant «Pète-Sec», de Du Verron, le surveillant général «Bec-de-Gaz», et Léon Larive, le professeur de chimie qui va faire basculer cette société pourtant si bien structurée. Il faut remarquer le naturel pour l'époque, des jeunes acteurs jouant avec beaucoup d'enthousiasme ces élèves qui seront plus tard les acteurs des événements historiques à venir.

Jean Vigo peut être comme Jacques Tati considéré comme un "visionnaire" car il aura, durant sa courte carrière, abordé des sujets brûlants, les sujets dont il ne fallait pas parler, montré des choses qu'il ne fallait pas voir au risque de convaincre ceux qui assisteraient aux projections. Il n'aura pas connu ce qui aurait été sa plus belle récompense, le "Front Populaire".

Box-office France: Non communiqué

Note: 8/10

Créée

le 10 août 2022

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