J'avais adoré La Grande Bellezza de Sorrentino. On y parlait d'art et d'art seulement, l'amour était tenu à distance tel un fantôme du passé que, par pudeur, on gardait pour soi. La société décadente de Rome n'était que le symptôme d'un monde que cet amour a déserté.


L'amour n'était plus, et jusqu'au bout, qu'une femme désincarnée, une idée.


Seul ce jusqu'au-boutisme de désincarnation me rendait acceptable le symbole, aujourd'hui désuet, de la femme muse, génératrice du désir créateur ; de la femme muse, allégorie de l'idée qui pousse à la création ; de la femme muse, (insérez ici autre périphrase équivalente).


Dans Youth, la parabole autour de l'art est davantage incarnée. En témoigne cette phrase du vieux scénariste Harvey Keitel : "il n'y a pas d'inspiration, il n'y a que de la fermentation."


Phrase que j'apprécie au demeurant, qui relève l'aspect davantage organique que transcendant de l'inspiration. Seulement, il n'est plus possible, alors, d'user de l'image désuète de la muse, car Sorrentino décide de parler des choses d'ici-bas, notamment d'art et d'amour mêlés. Cocktail explosif.


Il aurait fallu, à mon humble avis, être plus fin : accepter davantage d'embrasser la complexité du réel, et notamment de lâcher la complaisance envers le personnage principal, généralement artiste incrédule.


Car, faute de s'y essayer vraiment, Youth fait de l'être féminin un bout de matière, coincé entre deux paradigmes ; un fantôme le cul entre deux chaises, dépendant du regard que l'artiste veut bien lui porter. Au risque sinon de rester sur le carreau, quasiment à pourrir sur un coin de table. L'homme vieillit lui aussi, fatalement un peu plus noble, puisqu'il est l'artiste et le personnage principal : soit dans une noble retraite pleine de nobles regrets nobles, soit dans l'élaboration d'un testament, coupé en plein vol par l'ingratitude de la muse (qui sera quand même bien punie). Reste Miss Univers, qui fait un peu de résistance au départ, mais finit par se soumettre aux besoins des artistes d'une ultime idylle.


La mise en scène reste excellente, et certaines idées jouissives, comme de faire de Maradona un personnage à bout de souffle quasiment à l'agonie (big tatouage de Marx dans le dos) toujours capable cela dit de jongler avec des balles de tennis (du pied gauche, bien entendu). Le film met en scène la quête honorable de ne pas trop vieillir ; de garder un peu, même vieux, et malgré les épreuves de la vie, un morceau de ce qui fait la jeunesse, et notamment sa légèreté. Cependant, la multitude des thèmes abordés et mêlés cette fois-ci, aurait demandé selon moi davantage de nuances dans l'écriture.

Vernon79
5
Écrit par

Créée

le 29 juil. 2021

Critique lue 241 fois

5 j'aime

Vernon79

Écrit par

Critique lue 241 fois

5

D'autres avis sur Youth

Youth
Sergent_Pepper
4

Hospice power

De deux choses l’une : celui qui ne connait pas Sorrentino pourra, un temps, être ébloui par sa maîtrise formelle et y voir une voie d’accès à son univers ; celui qui en est familier y trouver une...

le 12 oct. 2015

98 j'aime

8

Youth
BrunePlatine
9

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait...

Au vu des notes et des avis disparates qu'a recueilli la dernière oeuvre de mon cher Paolo depuis sa sélection à Cannes, j'avais hâte de me faire ma petite idée dessus. Nous y retrouvons les...

le 24 nov. 2015

53 j'aime

4

Youth
Krokodebil
1

La Grande Bruttezza

Je profite d'une ivresse momentanée et d'un week-end assez chargé pour dégobiller sur cet objet filmique détestable. Précision qui importe : j'aime assez "This must be the place", j'adore "La Grande...

le 13 sept. 2015

52 j'aime

11

Du même critique

Battleship
Vernon79
8

Battleship: un film d'action de société

Tout commence à l'entrée du cinéma. Le film est déjà commencé, mais toi t'as pas fini ton kebab et tu sens au fond de toi même qu'il n'y a pas le feu au lac (faut attendre la dernière demi-heure du...

le 17 mai 2012

38 j'aime

5

Les Goonies
Vernon79
9

C'est pas parce que l'on est grand que l'on doit rester assis

Dans le premier tome des "Scènes de la vie de provinces", Balzac tentait de nous expliquer comment "durant la belle saison de la vie, certaines illusions, de blanches espérances, des fils argentés...

le 20 mai 2012

25 j'aime

15

Fitzcarraldo
Vernon79
10

Qu'est-ce que le luxe ?

Une gazelle, c'est exotique dans un zoo à Montreux, pas dans la savane. Un labrador, c'est exotique sur l'Everest, mais pas sur une plage bretonne à faire chier les crabes. Et bien voilà c'est un peu...

le 25 juin 2018

22 j'aime

17