Compagne et principale collaboratrice de Michel Leclerc (elle avait reçu le César du meilleur scénario original pour Le nom des gens), Baya Kasmi s'est lancée dans la réalisation dès les 2000's et s'était faites remarquée avec son premier long-métrage Je suis à vous tout de suite (2015), film où elle faisait allusion à sa propre famille. Son projet suivant s'est nourri de la réception du précédent film, la réalisatrice évoquant que beaucoup l'interrogeaient sur des aspects spécifiques (notamment sur l'Islam, les cités, l'immigration ou le voile) et que le fait d'évoquer son vécu amenait à une mise en lumière de sa famille, involontairement ou pas. La réalisatrice avait rapidement évoqué son projet suivant à Ramzy Bedia (déjà présent sur Je suis à vous tout de suite), ce dernier lui donnant son accord pour être son acteur principal, quitte à attendre sept années avant de voir un scénario.


En apparence, Youssef Salem a du succès pourrait simplement présenter une famille musulmane issue de l'immigration à travers le point de vue d'un des enfants. Pourtant, on remarque très rapidement que la famille en question pourrait très bien être la nôtre au delà de la religion et du statut social. Le spectateur pourra même voir deux exemples similaires à lui-même avec cette fan marseillaise et ce candidat de téléréalité (magnifique parodie de Koh Lanta au passage) qui se reconnaissent dans le roman de Youssef, alors qu'ils ne sont même pas musulman (aspect pourtant évoqué à outrance par les médias invitant l'auteur). Chacun risque donc d'y trouver son compte dans ce portrait familial, quitte à voir son propre vécu, rendant ainsi cette famille plus universelle qu'elle n'y paraît.


La réalisatrice montre également que certains membres de la famille sont plus touchés que d'autres par le livre, nourris par un sentiment de honte ou de peur. Le frère (Oussama Kheddam) va ainsi reprocher à son cadet de ne pas lui avoir écrit un personnage spécifique, tout en l'évoquant simplement par un détail (le pain) ; là où sa grande sœur (Caroline Guiela Nguyen) n'a jamais fait son coming-out auprès de ses parents, s'enfermant dans un mensonge qui dure depuis plus de dix ans. La conclusion n'en deviendra que plus forte, certaines personnes n'ayant pas besoin qu'on leur donne dix mille détails pour comprendre et accepter certaines choses.


Quant à Youssef, s'il n'a pas honte de poser des choses intimes par le biais de la fiction, il a du mal à assumer face aux siens (à l'image de l'hilarante scène de la bibliothèque). De même, ce roman apparaît comme un bilan nécessaire, comme un maux qu'il était temps d'évacuer quitte à ce que ça passe mal. Un mal-être qui passe par des modifications, des mensonges, des regrets, l'autodestruction (cf le passage télévisé où il se soule pour affronter ses "adversaires") et une surmédiatisation qui ferait perdre pied à n'importe qui. Inévitablement, plus le film avance, plus le piège se referme sur le personnage, intensifiant sa crise existentielle et l'amenant vers des situations dramatiques (le deuil comme la dépression).


Ce qui n'empêche pas le personnage d'avoir de l'affection pour sa famille, notamment pour son père (cf les fameuses fautes). Il y a aussi cette peur du choc toxique et plus simplement d'être amoureux. Ce qui amène probablement la meilleure scène dans une piscine depuis Showgirls (Paul Verhoeven, 1995) à travers un impayable coup de foudre. Le romantisme en plus. Ramzy Bedia trouve probablement un de ses rôles les plus fascinants, étant drôle sans partir dans le gaguesque ou la punchline ; et incroyablement touchant.


Il en est de même pour le reste de la distribution, d'Abbes Zahmani à Tassadit Mandi, en passant par Vimala Pons. Youssef Salem a du succès est un film qui sonne juste, sachant parler habillement au spectateur. Nous sommes tous un peu comme Youssef et sa famille ; et c'est là la plus belle réussite de Baya Kasmi. On trouve déjà un des plus beaux films de cette année, sachant aborder brillamment divers sujets sensibles.

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le 10 févr. 2023

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