La jumelle bénéfique de Into the Wild

Il fut une époque où il était très courant d’entendre dans une soirée – plus ou moins mondaine – un de mes tristes contemporains en pleine recherche intérieure m'interpeller d’un ton fébrile :


_ Tu as déjà regardé Into the Wild? Tu sais ce chef d’œuvre dans lequel Sean Penn dénonce de manière cinglante notre société consumériste ? Moi ce film m’a ouvert les yeux sur la beauté du monde et le non-sens de notre vie de consommateurs sédentarisés.


Et moi de penser intérieurement : Bien sûr. Ce petit fils à papa qui après avoir puisé allègrement dans le capital familial, plaque tout, ne donne plus de nouvelles à ses parents, donne des leçons de moral à tous ceux qu'il croise. Ce petit branleur qui est contre la société de consommation, qui utilise une carabine pour chasser et fraude le train – payé par ces idiots de consommateurs – pour voyager d’un état à l’autre dans un désir insatiable d’aller au plus loin dans son aventure narcissique. Cet immonde prétentieux qui se prend pour le Christ et qui croit découvrir le sens de la vie en crevant à moins de vingt-cinq ans en s’intoxiquant avec des graines.


_ Je vois ce que c’est... C’est pas mal en effet. Peut-être un peu léger quand même sur le fond mais sympa pour les paysages. Et la musique est plutôt cool de mémoire.
_ Oh tu plaisantes. C’est tellement plus que ça ! Mon pseudo Facebook maintenant c’est Lolita Supertramp et j’ai décidé de faire le tour du monde ! Je commence par Bali et ensuite Santa Barbara (…) Tu devrais vraiment le revoir, crois-moi…
_ Vu comme ça en effet... Et sinon tu penses prendre un avion pour commencer ta lutte contre la société de consommation ou tu as envisagé un autre mode de transport plus spirituel ?
_ …
_ Oui, non... Je plaisante tu as raison. C’est super comme projet… Je vais me chercher un autre verre moi…


The Wild m’avait été vendu comme la version féminine de Into the Wild qui, s’il ne m’a pas déplu au plus haut point du fait d’une certaine ambiance poétique, m’a profondément énervé pour l’engouement idéologique qu’il a suscité. C’est donc sans grand enthousiasme et après de nombreux reports que j’ai pris la peine de visionner l’avant dernier film de Jean Marc Valley.


Et bien force est de constater - avec soulagement - que les défauts de son illustre prédécesseur ont été bien gommés au profit d’une œuvre plus franche et plus modeste dans son propos.


Ici on découvre les choses simplement, sans prétention. On commence à suivre le parcours d’une jeune femme apparemment blasée par ses différentes expériences passées et qui décide de se lancer dans un trek prisé par les amateurs de randonnée les plus chevronnés pour sa difficulté, son austérité sauvage et sa longueur. Reese Witherspoon dans le rôle de Cheryl ne nous donne pas de leçon sur la société ou le grand capital. Elle suit son chemin, achète des chaussures qu’elle se fait livrer au prochain point relais et ne s’interdit pas une petite séance crapuleuse de temps en temps. Elle se contente d'avancer au cœur de paysages parfois impressionnants. Evidemment il n’est pas rare qu’elle souffre de la violence des éléments, de la solitude et de l’incertitude. Elle continue cependant sa route qui se veut avant tout une thérapie personnelle.


On comprend rapidement que les souffrances liées au décès de sa mère ont engendré le besoin de se détruire par la drogue et de se sentir vivante à travers une sexualité exacerbée. Deux vices dans lesquels elle a fini par se perdre. Cette marche est une thérapie qui répond à un besoin personnel de vivre intensément, parfois dangereusement et lui permet d’affronter ses problèmes plutôt que de les fuir. C’est ainsi qu’au fil de ses épreuves, elle partage avec les spectateurs les souvenirs de son enfance parfois malheureux et parfois teintés de l’espoir que lui communiquait sa mère malgré sa maladie au son de El Condor Pasa de Simon and Garfunkel.


Nous n’échapperons bien entendu pas à quelques niaiseries adolescentes, à l’utilisation de citations bien barbantes – du type «Si ta volonté te lâche, dépasse ta volonté» et d’autres trucs genre Nelson Mandela pour les nuls – qu’elle marquera un peu partout et également à un monologue final qui gâche un peu l’ensemble en tentant de nous faire assimiler ce que nous avions déjà entrepris de comprendre en suivant son épopée, d’après notre propre réflexion sans avoir besoin de sous titres en gras peut être moins complexes que ce que notre pensée avait pu produire.


Ce n'est pas un chef d'oeuvre du cinéma, loin s'en faut, mais l’on peut le recommander pour sa simplicité, sa tendresse et sa beauté malgré quelques bons sentiments un peu lourds qui semblent empruntés au prétentieux Into the Wild.

LeNatif
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le 3 mai 2017

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