Le monde va-t-il si mal pour qu'un tout petit film comme Whiplash trouve à la fois les grâces du public et de la critique? Et pour qu'il éclipse dans nos contrées le pourtant excellent, et bien plus complexe, A Most Violent Year?
Bien sûr, Whiplash n'est pas détestable, se révèle parfois séduisant et fait même preuve de certaines qualités : la direction d'acteurs principalement, et des dialogues bien écrits. Mais cela cache mal un propos assez vide et une construction dramatique plutôt faiblarde.
La description de cette relation sadomasochiste si saisissante qu'elle soit (grâce notamment aux comédiens) n'est pas d'une grande originalité et, plus problématique, ne débouche sur rien. Damien Chazelle semble en effet tabler sur la répétition pour construire son récit. Whiplash investit un seul et unique schème, rapidement repérable dans chaque séquence et pénible sur la durée : séduction perverse/ mise en tension/ explosion de violence/ humiliation/ sentiment de frustration/ surinvestissement d'une activité autoérotique (la batterie donc)/ apaisement des tensions enfin. Et ça recommence.
Ce qui est décourage, c'est que Chazelle se repose sur cette construction étriquée d'une problématique masturbatoire à peine déguisée plutôt que d'essayer d'ouvrir vers une altérité ou, en tout cas, vers une problématique du lien (familial, paternel, amoureux, que sais-je?). Ainsi, il coupe systématiquement tout ligne narrative qui pourrait le détourner de son projet : filmer l'investissement très égocentré et narcissique de la maîtrise d'un instrument. Il faut d'ailleurs noter combien le public reste quasiment toujours hors-champ. On pense évidemment à un porn-addict qui privilégierait la masturbation à un rapport sexuel avec un(e) vrai(e) partenaire. En soi, pas de problème, mais est-on vraiment obligé d'assister à ça pendant 1h45?
Je ne suis pas musicien, j'envisage donc que cette construction répétitive du film corresponde à la volonté de reproduire dans le montage et la mise en scène une métrique ou un rythme musical. Mais, si c'est le cas, cela vient plutôt confirmer l'aspect fondamentalement autoérotique du projet.
Je reste par ailleurs étonné qu'on vante tant les qualités de mise en scène du film : les scènes musicales sont filmées sans grande inventivité (certaines semblent tout droit sorties d'émission de variétés des années 80) et le reste, très classique. La photographie mordorée se révèle assez pénible sur la durée. On comprend bien que l'intention ici se situe de passer l'image à travers un filtre cuivré (diable, quelle inventivité!) mais ceci contribue surtout à donner au film un aspect suranné. Ce qui amène une dernière remarque : il n'est peut-être pas nécessaire de convoquer Kubrick et Full Metal Jacket pour tenter de gonfler l'importance de Whiplash, ce n'est pas rendre service à ce dernier.
Adam_Kesher
3
Écrit par

Créée

le 1 févr. 2015

Critique lue 2.6K fois

25 j'aime

30 commentaires

Adam_Kesher

Écrit par

Critique lue 2.6K fois

25
30

D'autres avis sur Whiplash

Whiplash
Sergent_Pepper
8

Travail, infamie, batterie

Pour se laisser pleinement aller à la jubilation de Whiplash, il faut d’emblée lever une ambiguïté de taille : ce n’est pas un film sur la musique. Le mélomane qui ira chercher une exploration des...

le 31 déc. 2014

234 j'aime

22

Whiplash
Vincent-Ruozzi
10

«Je vous promets du sang, de la sueur et des larmes»

Whiplash est un grand film. Il est, selon moi, le meilleur de l’année 2014. Une excellente histoire alliant le cinéma et la musique. Celle-ci ne se résume pas à une bande son, mais prend ici la place...

le 20 janv. 2015

190 j'aime

11

Whiplash
Je_en_vert
8

Le Bon, La Brute et le Tempo

LE BON. Whiplash c’est l’histoire d’un jeune batteur, interprété par un très bon Miles Teller (The Spectacular Now), qui pratique le jazz dans l’un des meilleurs conservatoires des Etats-Unis. Il...

le 26 déc. 2014

186 j'aime

18

Du même critique

The Two Faces of January
Adam_Kesher
5

Film ni-ni

Ne pas penser à Plein Soleil. Ne pas penser au Talentueux Monsieur Ripley de Minghella. Ne pas penser à d’autres adaptations de romans de Patricia Highsmith. Surtout ne pas penser à Hitchcock. Oui,...

le 30 juin 2014

27 j'aime

5

Whiplash
Adam_Kesher
3

Un film qui se masturbe

Le monde va-t-il si mal pour qu'un tout petit film comme Whiplash trouve à la fois les grâces du public et de la critique? Et pour qu'il éclipse dans nos contrées le pourtant excellent, et bien plus...

le 1 févr. 2015

25 j'aime

30

Une sale histoire
Adam_Kesher
10

L'origine du monde

Rappelons tout d'abord le dispositif de Une Sale Histoire de Jean Eustache. Le film se scinde en deux parties: une partie fiction et une partie documentaire. Les deux parties, d'une vingtaine de...

le 10 juil. 2014

21 j'aime

4