De manière pour le moins surprenante, j'ai envie de commencer ce court papier par une citation de The Bridges of Madison County, découvert il y a peu, qui m'est revenue à l'esprit en regardant Wendy (et qui est même venue jusqu'à me hanter durant la nuit suivant le visionnage du film de Benh Zeintlin, me poussant à me lancer dans la rédaction du présent papier) : "the old dreams were good dreams. They didn't work out but I'm glad I had them".


En effet, c'est en entendant la mère de Wendy expliquer à ses enfants que les rêves qu'elle avait lorsqu'elle était plus jeune ne sont plus les mêmes que ceux qu'elle a au moment où elle formule sa réponse que la voix de Clint Eastwood a ressurgi de mon subconscient (décidément, le timing fait tout) pour ensuite s'estomper quelque peu. Cependant, en y réfléchissant, cette conversation, qui intervient très tôt dans le film et qui semble anodine, est plus importante qu'il n'y paraît et ce pour deux raisons (pour votre information, les paragraphes qui suivent contiennent des spoilers mineurs étant donné qu'il s'agit plus d’éléments de contexte).


D'une part, la vision du Pays Imaginaire proposée par Zeintlin ne correspond pas complètement au havre de liberté et d'amusement auquel les précédentes adaptations ont pu nous habituer (les pirates, seule véritable menace de l'île, sont, en général, de bons larrons) puisque celle-ci comporte un côté obscur qui prend la forme d'une terre de désolation sur laquelle vivent les enfants perdus qui se sont égarés (je vous vois venir avec votre oxymore) et qui ont, en conséquence, pris un sacré coup de vieux. Car oui, dans cette relecture du roman de J. M. Barrie, vivre à Neverland ne se traduit pas toujours par une récréation sans fin. En présentant les choses ainsi, Zeintlin dresse, dans un premier temps, un portrait particulièrement terne de la vie d'adulte où l'imagination et l'émerveillement n'ont pas leur place : une fois devenu grand, nos rêves d’enfant s’effacent telles des traces de pas lavés par les vagues sur une plage et nous sommes laissées avec des suppositions quant à leur réalisation ("I could have done it" dit la mère de Wendy, sans aucune amertume toutefois, après avoir révélé qu’elle rêvait, lorsqu’elle était plus jeune, de faire du rodéo). Du moins c'est ce que s'obstine à croire Peter, l'enfant vagabond qui attire les nouvelles recrues pour renouveler les troupes et qui traite ceux qui ont sombré comme des parias. Il y a ici un petit côté à Inside Out avec le repère, sorte de no man’s land, de ces étranges fantômes qui semblent destinés à errer, être oubliés et disparaître. D’ailleurs, je profite de cette allusion pour indiquer que la résolution de Wendy ne m’a pas paru si éloignée de celle du film d’animation Pixar (je vous laisse le soin d’en juger par vous-même).


D'autre part, pour reprendre le fil, la jeune fille qui a, elle aussi, eu droit à ses propres aventures dans sa jeunesse, devenue aujourd'hui la mère de Wendy et de deux jumeaux n'a que pour seule préoccupation de veiller sur eux ("things change, chica. Dreams change" dit-elle encore, avec un sourire, à sa fille qui semble déçue par le manque de fantaisie du nouveau rêve de sa mère). Or, une autre particularité du Pays Imaginaire qui nous est proposé ici réside dans le fait que les enfants perdus ont également une mère bienveillante, qui prend la forme d'un poisson d'une taille non négligeable. Cette chimère aquatique sera au centre des convoitises des pauvres diables de l'île mentionnés ci-avant, ces derniers étant persuadés qu'il leur est possible de retrouver leur jeunesse perdue grâce à ses propriétés magiques. La morale du film viendra un peu naïvement résoudre le récit mais sa porte-parole est si fougueuse et (trop) inébranlable qu’elle convainc aussi bien les résidents de l’île que le spectateur au cœur tendre. Cette Wendy, rêveuse et intrépide, malgré son jeune âge, correspond bien à l’image du personnage, en faisant notamment preuve de maturité, tout en le présentant sous un nouveau jour. D’ailleurs, et j’en terminerai par là, le thème de la mère se retrouve même une fois le métrage terminé puisque le générique de fin nous apprend que le film est dédié à Kassie Leah France, qui n'est autre que la mère de l'actrice Devin France qui prête ses traits au personnage de Wendy, décédée l’année passée.


En somme, Wendy n’est pas sans rappeler le récent Gretel & Hansel (les deux films accordent une place de choix aux jeunes protagonistes féminins de leur histoire et traitent, à leur manière, la question du passage de l’âge adulte, ou du moins, son acceptation) mais l'effort de relecture est ici plus prononcé et plus louable car Zeintlin a su faire le tri parmi les ingrédients qui composent Peter Pan pour mieux se réapproprier l'histoire et proposer une relecture bien ficelée, le tout servi par une réalisation qui nous évade et qui sied parfaitement à l'univers de J. M. Barrie ! 6.5/10 !

vic-cobb
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le 18 avr. 2020

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vic-cobb

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