Ceci n’est pas un film de super-héros, mais davantage une analyse complexe sur la nature humaine, à l’échelle du personnel, de la société, du monde et de l’univers. Explorant le quotidien vieillissant de super-héros qui n’en sont pas réellement (si l’on excepte le Dr. Manhattan, aucun des watchmen n’a de vrais pouvoirs, mais une remarquable agilité au combat), le film confronte celui-ci aux grands et petits bouleversements humains, passés ou à venir (une possible troisième guerre mondiale). À l’égal du roman graphique d’Alan Moore, l’œuvre de Snyder est multiple, dramatique, d’un profond pessimisme (voire nihilisme), constatant l’impuissance existentielle de l’Homme qui ne peut se défaire d’un instinct de violence, de destruction et de mort. L’Histoire (et, plus particulièrement dans le film, celle des États-Unis) nous l’a appris, nous l’apprend et continuera à nous l’apprendre au gré des décennies futures.

Le film est prolixe (très peu de scènes d’action, toutes concentrées dans la bande-annonce), expansif, se construisant sur des allers-retours incessants, des digressions, des entremêlements et des fulgurances. Il dresse une étude morale et politique très sombre (l’image est noire, ténébreuse, comme esquissée à la mine de plomb) sur la destinée de l’Homme, sa place au sein des choses ou d’un tout. Riche dans le fond, Watchmen l’est aussi visuellement ; si Snyder use et abuse de ralentis stylisés (réminiscences formelles de 300), il associe parfaitement ampleur et intime, audace et volonté, dans une mise en scène saturée d’effets spéciaux éblouissants (mais s’éloignant quelque peu de l’esthétique sobre et précise des dessins de Dave Gibbons).

D'où vient alors ce sentiment d’un bel ennui, d’un saisissement lointain, absent ?... Watchmen s’admire et se comprend sans que rien ne vienne toucher, surprendre, impliquer au cœur et à l’affect (à part peut-être le final en Antarctique). Le film est comme figé dans sa splendeur, dans sa grandeur et dans ses effets ; tout est trop lisse, exemplaire, monumental, il lui manque un supplément d’âme, une émotion tangible qui parviendrait à se ravir de ce spectacle foisonnant. Watchmen souffre précisément du même travers que The dark knight (et je reprends ici les mots que j’avais utilisés pour la critique du film de Nolan, lui aussi portrait mélancolique d’un super-héros en crise) : il aspire à trop de complétude, "s’abîme dans sa propre ambition et sa propre excessivité."

C’est d’autant plus contrariant que Watchmen a pour lui une envergure peu commune, des scènes magnifiques (le meurtre du Comédien sur fond d’Unforgettable, la destruction de New York, l’exil du Dr. Manhattan sur Mars…) et des personnages essentiels, fondamentaux ; ceux de Rorschach et du Dr. Manhattan sont sur ce point les plus intéressants, les plus fascinants. Ils sont comme deux contraires, deux extrémités d’un même spectre qui représenterait une évolution psychologique de l’Homme (quand l’un se cache continuellement derrière un masque, s’arrange de l’anonymat, l’autre s’expose totalement, physiquement et spirituellement), voire théologique (du simple mortel à la puissance suprême, divine). Watchmen est une grande œuvre malade, inégale, imparfaite dans sa perfection, rébarbative dans sa solennité, et qui exige sans doute plusieurs visions. Elle est dans tous les cas une réflexion logique, à différents niveaux, sur notre genre, sur ses ambivalences, ses noirceurs et ses démesures.
mymp
5
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le 25 juin 2013

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