Wall-E
7.7
Wall-E

Long-métrage d'animation de Andrew Stanton (2008)

Mon Pixar singulier, émouvant, divertissant, spectaculaire et intelligent

Après avoir co-réalisé 1001 Pattes ou encore Le monde de Némo, Andrew Stanton réalise un nouveau film d’animation pour Pixar à la fin des années 2000 : Wall-E, l’histoire d’un petit robot nettoyant une planète Terre devenue décharge abandonnée par l’humanité. Une telle dystopie me semble assez singulière pour un film d’animation visant notamment le grand public et les enfants mais c’est aussi pour ça que le film a su capter mon intérêt en premier lieu pour finalement figurer parmi mes films d’animation préférés, peut-être même mon préféré toute époque confondue. Voyons ce qui fait que je le trouve si exceptionnel que ça.


La première partie du récit est très minimaliste avec cette absence de dialogues induite par le concept, la découverte de cet univers de fiction se fait d’abord par l’image, par des textes intradiégétiques tout au plus, comme cet exemplaire de journal sur lequel Wall-E roule, une narration très subtile et élaborée. Le texte des chansons permet aussi de densifier le propos et celles-ci n’ont pas été choisis par hasard, elles illustrent le plus souvent ce qui se passe à l’écran et permettent d’en orienter l’interprétation, ou encore d’introduire de futures thématiques qui peuvent être encore floues.


Andrew Stanton le commente ainsi :



Quand on réalise un long-métrage avec pas ou peu de dialogues, la narration doit être complétée par d’autres éléments du film tels que le jeu des personnages, la musique, la lumière… il devient alors nécessaire de trouver des méthodes originales, sonores ou visuelles, pour faire passer une émotion et faire avancer l’intrigue. C’est un art que je pense un peu perdu depuis la généralisation des dialogues parlés dans l’histoire du cinéma.



En l’espace d’un quart d’heure, les situations rencontrées permettent de parfaitement comprendre le personnage de Wall-E, réalisant une mission fonctionnelle méticuleusement mais en se la réappropriant a minima artistiquement, curieux de son environnement et respectant la vie ou les traces qu’elle a pu laissé… avec quelques gags dont Pixar a le secret pour amuser la galerie comme il se doit, avec pour source d’inspiration principale les références des comédies muettes, de Chaplin ou de Keaton notamment. Le court-métrage trésor et petites merveilles de Wall-E montre une quantité de gags en pagaille qui auraient pu se retrouver dans le film et c’est d’autant plus appréciable qu’ils en aient fait une sélection avec parcimonie.


C’est une démonstration incroyable à mon sens d’être parvenu si bien à ce résultat riche et limpide tout en garantissant le divertissement permanent, l’équilibre y est parfait pour moi. Mais le film ne se résume pas à ça, quand bien même c’était le concept de base à partir duquel le récit s’est construit, le premier acte ayant été d’ailleurs story-boardé quasi-complètement avant tout le reste. Sa rencontre fortuite avec un autre robot aux allures plus féminines bouleverse un petit peu tout ça et l’amènera jusqu’à la découverte de ce qu’est devenue l’humanité, comment la Terre s’est retrouvée dans cet état, quel avenir pour tout ça…


Tout d’abord, cette rencontre entre deux robots amène une légère mais appréciable inversion des genres avec le robot plutôt genré masculin qui s’avère craintif et sensible alors que le robot plutôt genré féminin s’avère froid et violent. En suite, c’est surtout le poids de la solitude qui pèse lourd dans le récit et qui justifie totalement le départ de Wall-E à la découverte de la société humaine qui permet un déroulement du récit on ne peut plus cohérent, au détail près du cafard qui est petite forme de vie tout de même et ça aurait peut-être été encore mieux si Wall-E avait été introduit comme étant littéralement tout seul, mais ce n’est qu’un détail.


Évidemment, le protagoniste ne connaissant rien et apprenant tout d’un univers de fiction au même titre que le spectateur, avec en plus un récit gravitant quasiment toujours autour de son point de vue, permet une mécanique d’identification à lui simple mais efficace, exactement ce qu’il fallait pour ne pas rendre la narration confuse ou laborieuse, un écueil vite arrivé avec un tel contexte où un lourd passé doit être expliqué. Une telle découverte justifiera l’arrivée de nouveaux propos critiques en plus de nouvelles péripéties pour Wall-E et alors là on rentre dans un autre domaine dans lequel le long-métrage excelle : la multiplicité des thématiques qu’il aborde en suivant un fil rouge clair et pertinent.


Au-delà d’une sensibilisation évidente à l’écologie, qui n’est peut-être pas si originale que cela pour ce style de public à l’époque bien que ça soit toujours intéressant, le film dévoile donc bien d’autres ambitions scénaristiques qui élèvent le débat tout en replaçant le problème écologique dans un contexte politique, avec un PDG d’une société de grande distribution usurpant l’air de rien la place d’un président élu démocratiquement par exemple. En quelques minutes et gags visuels on voit le consumérisme à son paroxysme asservir l’humanité, la dépendance totale aux technologies l’affaiblir, l’éducation réduite à la propagande l’abrutir… et tout ceci en fait un ensemble de thématiques très matures et très intelligents explorés avec efficacité, subtilité et légèreté.


Il était même prévu dans une des premières versions que l’humanité aient perdu l’usage de la parole à la manière de la Planète des Singes, mais ça aurait sans doute manquer d’accessibilité pour un tel public visé. Cette accessibilité a aussi orienté certains choix d’exemples illustrant ce mode de vie ultra-consumériste et très parlants pour les enfants, avec par exemple le suivi de la mode, qui est bêtement dicté et suivi pour apparaître n’avoir aucun sens ou intérêt, ou le recours systématique à la technologie pour communiquer qui apparaît artificiel et inefficace… C’est une adaptation très pertinente qui permet à tout le monde de saisir le même message à son échelle.


L’œuvre culturelle, la liberté, la curiosité, l’amour... constituent tout ce qui fait resurgir l’humanité des individus et encore une fois avec beaucoup de subtilité, allant jusqu’à emprunter des thèmes musicaux à des films cultes de science-fiction pour renforcer un message qui restera compréhensible aux yeux du jeune public et qui sera exemplaire aux yeux du cinéphile averti. D’ailleurs, le choix de certains doubleurs sera aussi l’occasion d’appuyer discrètement de tels clins d’œil, c’est là encore très appréciable et ça montre à la fois une bonne connaissance du genre par les créateurs du long-métrage et leur capacité à l’utiliser de façon pertinente et subtile, comme pour le reste.


Ça reste un film pour enfants, avec une opposition manichéenne entre être libre de ses choix, sujet à des émotions… la bonne attitude, et simplement obéir à une série d’ordres sans jamais même songer à y dévier, se laisser aller à une attitude apathique… la mauvaise habitude. Tous les personnages qui s’émancipent et deviennent libres de leurs choix sont systématiquement des personnages positifs, c’est une vision finale très binaire mais c’est un choix cohérent avec le message du film et il y a tellement de richesses et de maturité au propos en dehors de cet aspect que je lui pardonne complètement.


Pour cette maturité par exemple, on peut parler de la fin en elle-même :


La mise en danger de Wall-E peut passer par sa mise en danger physique, bien entendu, mais aussi et surtout par la mise en danger des souvenirs et émotions qui sont propres au personnage. C’est ce qui fait que j’ai trouvé le final particulièrement émouvant et très bien élaboré. Tout le film montre un parcours émotionnel, le rapprochant d’Eve et de l’émancipation de sa routine, le conclure en mettant en danger tout ce parcours permet les enjeux les plus dramatiques et cohérents possibles. Les fins de films Pixar sont souvent réussies, celle-ci figurent pour moi parmi les plus émouvantes et les plus intelligentes à la fois.


Sur la forme, bien entendu le budget de presque 200 millions de dollars, le plafond des moyens financiers d’un film de Pixar de l’époque, permet un rendu visuel techniquement très soigné, sans grande surprise. Que ce soit en terme d’animation, de décor, d’effets visuels… je n’ai pas ressenti un seul moment où ils ont dû faire un compromis gênant le déroulement du récit comme le spectacle. Il y a peut-être peu de scènes où l’on voit toute la foule humaine à l’écran et en mouvement, mais il y en a quand même, notamment vers la fin avec en plus une mise en scène très spectaculaire, donc non il n’y aucun reproche réel à faire de ce côté-là non plus.


Très vite l’esthétisme prend une place majeur avec des choix très singuliers. C’est une direction artistique qui mélangera vite la science-fiction et le rétro avec une musique des années 1930 sur des images de l’espace. Ces images offriront par ailleurs parmi les plus beaux plans esthétiques du film avec une gestion de la lumière tout simplement splendide et en contraste total avec le ton des autres environnements du film déjà en contraste entre eux, une mise en scène ne dévoilant que partiellement un décor par le reflet des yeux de Wall-E avant le plan large s’offrant au spectateur, une dimension quasi-onirique où les mouvements de caméra et la musique s’accordent parfaitement...


Le design de Wall-E et d’Eve ont été très bien réfléchis, opposant la forme rectiligne à la forme courbée, le rétro à l’high-tech… avec des petits éléments qui doivent parler aux enfants, comme le petit conteneur sur le dos de Wall-E qui doit évoquer un cartable. Et bien que les design des principaux robots ne soit pas humanoïdes, les animateurs avaient assez pour leur faire transparaître facilement des émotions, notamment à travers leur regard en modifiant la position et la forme des yeux. Les doublages des robots ont également été retravaillés pour ce timbre assez unique, éloignant ces voix de celles des humains tout en restant a minima compréhensibles. Encore une fois, le défi était de taille car il fallait que ce soit subtile et efficace même pour un enfant, et c’était une autre réussite de plus.


Wall-E est un tour de force incroyable sur quasiment tous les domaines : une narration minimaliste très élaborée et efficace au service d’un scénario mature, riche et adapté à tous les publics, un récit divertissant et humoristique débouchant sur un final intelligent et émouvant, un spectacle visuel et sonore abouti techniquement comme esthétiquement… Pixar aura été à l’origine de beaucoup de chefs d’œuvre à cette époque, mais c’est Wall-E qui redéfinira le plus pour moi ce que je peux préférer dans l’animation, dans la forme comme dans le fond.

damon8671
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le 17 janv. 2020

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damon8671

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