On ne présente plus John Woo, un des réalisateurs les plus emblématiques de Hong Kong qui un peu comme Leone en son temps a su réinventer les codes de tout un genre tout en imposant son style inimitable. Pourtant si la carrière HK de Woo confine quasiment à l'irréprochable, force est de constater qu'il n'en va pas autant de sa carrière américaine. Exilé en terre Hollywoodienne dès la rétrocession de Hong Kong à la Chine, le réalisateur a très vite vu ses aspirations se heurter aux impératifs commerciaux de son nouveau pays d'adoption. Artistiquement castré, John Woo a d'abord livré coup sur coup deux bandes d'actions sans réelles envergures (Chasse à l'homme, qui fut méchamment remonté par Sam Raimi et ses potes, et le très superficiel Broken Arrow).


Autant dire que le réalisateur n'était pas vraiment parti du bon pied avec les studios américains et on le voyait bien à l'époque compromettre son intégrité artistique dans toute une série d'actioners sans âme, ou pire encore (ou mieux ?) remballer bagages et retourner au pays. Et c'est exactement ce qui s'est passé, John Woo s'est rapidement condamné à singer ses chefs d'oeuvres passés tout en n'en conservant que les codes les plus superficiels (MI:2, Paycheck). Puis il est revenu à Hong Kong...


Et pourtant cette carrière américaine ne fut pas totalement vaine. Car entre l'informe Broken Arrow et le médiocre MI:2, Woo aura réussi à livrer l'un de ses films les plus aboutis et définitifs, le fameux Volte/Face.


Il faut avant tout savoir que le script de Face/Off a longtemps circulé de tiroirs en tiroirs à Hollywood avant de tomber entre les mains d'un producteur dénommé Michael Douglas, qui eût le flair et l'intelligence d'en proposer la réalisation à John Woo et ce, en lui laissant les coudées franches. Le réalisateur ne se fit pas prier et su déceler tout le potentiel cinégénique de ce script qui lui permettrait en outre d'explorer à nouveau une de ses thématiques de prédilection, celle de l'ennemi intime. N'ayant jamais caché son mépris pour la SF (d'où l'indigence de son futur Paycheck), Woo débarrassa aussitôt le script de tous ses oripeaux futuristes pour recentrer l'intrigue à une époque moderne. La chirurgie et les greffes expérimentales ne serviront que de support à cette improbable histoire d'échanges d'apparences et d'interversion d'identité entre deux protagonistes antithétiques.


La porosité entre le bien et le mal se trouve alors au coeur d'un métrage où le réalisateur renoue avec sa virtuosité d'antan, livrant des séquences d'action phénoménales comme cette scène d'ouverture tellement sidérante qu'elle aurait aisément pu servir de climax à n'importe quel autre métrage du genre. Fidèle à sa réputation, Woo n'oublie pas de composer des séquences de fusillades hautement esthétisées, sortes de ballets dévastateurs où des hordes de flics et de tueurs s'affrontent au son d'un Somewhere over the rainbow d'Olivia Newton-John et ce sous le regard innocent d'un gamin. Il trouve même le moyen d'intégrer intelligemment ses gimmicks les plus célèbres dont le fameux face à face à armes égales, ici détournée de manière hautement significative via la séquence du miroir où chacun des deux adversaires retrouve enfin son ennemi juré dans son propre reflet. Plus anecdotique sont ces nombreux symboles religieux et cet incontournable vol de colombe laquelle préfigure toujours dans les films du réalisateur, un règlement de comptes décisif.


Outre son esthétique si singulière, toute l'essence du cinéma de John Woo se trouve dans l'antagonisme ambivalent qui oppose ses personnages. Ici Woo se sert de deux archétypes classiques du cinéma contemporain (le héros vengeur, le bad guy retors) et s'amuse à inverser leurs rôles, poussant loin l'ambiguïté jusqu'à brouiller subtilement leurs personnalités. Preuve en est ces séquences moins anodines qu'on pourrait le croire et dans lesquels Archer devenu Troy part d'un rire dément jusqu'à imiter parfaitement l'attitude de sa némésis ou encore celle où Troy (devenu Archer) sauve la fille de son ennemi des mains vicieuses d'un jeune homme trop entreprenant. Pour autant, les deux protagonistes resteront toujours ce qu'ils sont, leur imposture n'induisant aucune réelle métamorphose morale. Et ce même si la ligne de démarcation entre le bien et le mal n'aura jamais été aussi ténue dans un film de ce genre.


Ainsi, toute aussi parfaite puisse être l'imposture de chacun des deux protagonistes, tous deux vont finir par se lasser de leurs rôles respectifs. Si au départ Castor Troy semble se contenter de son nouveau statut d'agent respectable, il finit vite par se lasser de cette existence ordonnée et ennuyeuse. Archer quant à lui va subir un véritable chemin de croix du début à la fin, et ce même s'il épousera parfois pleinement son rôle jusqu'à finir par adopter le fils de son ennemi juré. Prisonniers l'un comme l'autre d'une identité qu'ils ne peuvent endosser sur la durée, les deux ennemis n'ont plus d'autre choix que de régler définitivement leur compte et mettre fin une fois pour toute à cette sordide mascarade.


John Woo filme ce duel d'anthologie avec un savoir-faire indéniable, magnifiant chaque affrontement, chaque fusillade par la fluidité et l'élégance de sa mise en scène. Tirant sa réalisation vers un formalisme des plus somptueux, le réalisateur retrouve les fulgurances stylistiques de ses chefs d'oeuvre antérieurs et livre des séquences d'action totalement sidérantes de beauté.
Des morceaux de bravoure continuellement alimentés d'une symbolique manichéenne renforçant l'antagonisme mortel qui oppose les deux personnages principaux tout en effaçant progressivement la ligne de démarcation du bien et du mal. Un grand nombre de figures contradictoires peuplent la filmographie du cinéaste, mais jamais ce dernier n'avait exploré avec autant d'emphase la psyché de ses protagonistes. Et ce jusqu'à proposer une très modeste réflexion sur les notions d'apparence et d'identité. A savoir que l'une pourrait, sur la durée, dépendre entièrement de l'autre. D'où la nécessité pour ces deux ennemis mortels de réinvestir leurs rôles respectifs en fin de métrage.


Toute la force de ce duel orchestré avec maestria par un réalisateur en état de grâce ne serait évidemment rien sans la performance phénoménale de ses deux acteurs principaux, ici totalement habités par leur double rôle. Une alternance de bienveillance endolorie et de séduisante cruauté où le jeu de chacun des deux comédiens trouve un parfait écho dans celui de l'autre. Si John Travolta donne parfois l'impression de rejouer son personnage psychotique de Broken Arrow, force est de constater qu'il restitue à merveille toute l'ambivalence de ses deux personnages. Nicolas Cage, quand à lui, hérite à mon sens, du rôle le plus difficile, voire le plus ingrat. Totalement survolté et exubérant durant l'ouverture du film où il campe Castor Troy, il fait preuve durant l'essentiel du métrage d'une très grande justesse de jeu dans la peau meurtrie de Sean Archer.


Alors certes, au vu de l'ambiguïté d'un tel antagonisme et de la dualité morale que cela implique, on pourra regretter que le film privilégie finalement l'action au détriment d'une étude plus poussée de la psychologie de ses deux protagonistes. Volte/Face peut alors être perçu comme une énième bande d'action au concept totalement novateur.


Oui mais... bon sang, quel film !

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le 10 févr. 2016

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Buddy_Noone

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