"Merde à votre foutu réglement, Miss Ratched !"

[SanFelice révise ses classiques, opus 24 : http://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379 ]


Bien décidé à donner une culture cinématographique digne de ce nom à mon ado d'appartement, et bien que sachant celle-ci plutôt réfractaire aux drames (comme sa mère, qui considère qu'un film doit se terminer bien, sinon il ne mérite pas d'être vu), j'ai jugé indispensable de lui montrer ce film incontournable.


Dès le début, une scène m'a paru très significative. A peine arrivé, MacMurphy participe à une sorte de thérapie de groupe. Neuf patients entoure la glaciale Miss Ratched qui les enjoint à exposer aux yeux et aux oreilles de tous leur vie la plus intime, quitte à s'exposer aux insultes et aux brimades des autres. Procédé donc plutôt humiliant, d'autant plus que, lorsque la situation dégénère, l'infirmière ne bouge pas le petit doigt et regarde tout ce beau monde s'insulter avec le regard du patron ravi d'avoir semé la division parmi ses employés.
Nous voici très vite au coeur du sujet. Le traitement de malades mentaux considérés comme de la sous-humanité, et la volonté d'une femme de se constituer en petit tyran de l'hôpital, régnant sur son monde par la force et une fausse compassion. Et tout lui donne raison : si les médocs ou la peur abrutissent suffisamment les malades, alors elle mettra ça sur le compte de sa méthode ; si une rébellion s'installe parmi les patients, alors il faut encore plus de sévérité.
Le monde de l'hôpital est complètement figé, et la réalisation insiste sur ce côté glacial : l'hiver, une photographie insistant sur les couleurs froides, le regard de Ratched et un monde figé dans tout un rituel stérile dont le but évident n'est pas de soigner mais d'anesthésier, d'abrutir (la psychiatrie a-t-elle jamais guéri quelqu'un ?).
Et l'arrivée de MacMurphy, là-dedans, sonnera l'heure du réveil. Du coup, très vite s'engage un duel entre lui et l'infirmière, elle représentant la mort et lui la vie (il est intéressant de la voir toute de noir vêtue ; rien n'est vivant chez elle, comme sa coiffure où pas un cheveux ne dépasse).


Autre scène significative. Lorsque, face à l'injustice avérée de Ratched qui refuse de prendre en compte un vote qui lui est défavorable (et on me dira encore que ce film n'est pas politique ? Mais j'y viendrai plus loin), MacMurphy se cale devant une télé éteinte et s'improvise commentateur sportif, il attire autour de lui les autres malades en inventant de toute pièce un monde vivant, ou plutôt en meublant, par son imaginaire et sa force de vie, un monde mort pour le remplir de vie. Nous sommes là dans un des enjeux majeurs du film : faire régner la force de vie face à ceux qui préfèrent que nous soyons éteints.


Forcément, comme tout film de prison (et ça s'en rapproche par bien des aspects), Vol au-dessus d'un nid de coucou joue beaucoup sur l'opposition intérieur/extérieur, ici-ailleurs, enfermement/liberté. Car si Ratched impose sa loi dans les locaux de l'hôpital, dès que l'on sort MacMurphy est le roi. Il parvient à faire jouer au basket, réussit à donner aux malades une journée de liberté en plein air (et en pleine mer) qui est sûrement plus efficace que des cartons de médocs ou fait introduire dans l'hôpital des éléments extérieurs.
Tout cela a un but : rendre libre. Et c'est là que l'on touche au centre même du film : la liberté. Thème central de l’œuvre de Milos Forman, qui ne cesse de montrer dans ses films des personnages libres, libres des contraintes sociales et des exigences politiques, avec tous les problèmes que peut attirer cette liberté. Des hippies de Hair à Larry Flint, les personnages du cinéaste se moquent des exigences sociales et portent avec eux le scandale.
MacMurphy, c'est l'homme libre, affranchi des contraintes sociales. Attention, il ne s'agit pas d'en faire un héros : s'il a été condamné par la justice, c'est bien qu'il n'est pas un héros, et Forman ne tombe pas dans le piège d'en faire une référence à suivre.
Mais dans le contexte de cet hôpital, il est l'homme libre face à la puissance répressive incarnée par Ratched. Pire : il est celui qui vient apporter la liberté aux autres. Bien entendu, ça ne veut pas dire que les autres vont la prendre : quand on a toujours été emprisonné, la liberté fait peur car elle signifie prendre des décisions (et les assumer). Certains préféreront l'enfermement et la douceur d'être endormi, de s'endormir soi-même.
Ratched y voit une attaque personnelle, elle en a peur et elle a raison. Petit à petit, la rébellion prend racine. Le NON proféré et répété par Billy est une révolte contre l'autorité. Et le final, loin d'être l'échec de MacMurphy, marque sûrement sa réussite.
Étrangement, en revoyant ce film, je pensais au mythe de la caverne, présent chez Platon. Les internés seraient les hommes qui ont toujours été présents dans la caverne et MacMurphy, venant de l'extérieur, est celui qui vient dire qu'à l'extérieur brille une lumière.
A ce titre, j'ose affirmer que le film connaît une belle fin, une fin optimiste malgré l'apparence du drame.

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le 30 nov. 2015

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