Le film commence brutalement, par une course folle, celle d’une mère qui fuit avec ses trois garçons, sans qu’on ne comprenne rien et eux non plus. Les enfants refusent cette fuite brutale et semblent tiraillés entre leur père et leur mère. Car c’est d’abord sa fuite à elle, d’une vie qu’elle a pourtant longtemps aimée, que l’on voit, à travers ses yeux. Le père, on ne l’a qu’aperçu que partant, sans savoir qu’il quittait à jamais une femme épousée au pied d’un arbre centenaire, comme un indien. La mère veut rentrer dans les clous, emmener ses enfants à l’école. Elle choisit donc, en toute logique, le combat judiciaire pour obtenir la garde de ses enfants. Ses larmes coulent, mais si elle la porte en elle, elle ne distille aucune haine du père à ses enfants. Lui, débarque enfin tout en cri et en rébellion. Il n’a pas la patience d’attendre que la justice lui donne un droit tel ces « pères en colère » qui grimpent sur des grues pour crier qu’ils sont avant tout des pères, même divorcés ou séparés et que sans enfants, ça n’a pas de sens. Lasse d’attendre donc, il soustrait ses deux enfants à leur mère et à la société. Cette mère-là est inoubliable, pourtant, et c’est une belle idée, Cédric Kahn la laisse de côté, elle et son combat qu’on n’aperçoit que par quelques coupures de journaux, pour se focaliser sur le père.


Xavier Fortin, le vrai, s’est confié dans un livre écrit avec ses deux fils (« Hors système ») qui inspire la source même du film de Cédric Kahn. Mais le cinéaste, habitué au hors norme et aux films âpres et réalistes, pose des questions qui dépassent celles du simple fait divers. Déjà avec « Roberto Succo » ( il y a 13 ans), il avait atteint autre chose. Ici, l’affaire ne lui sert pas à juger mais à observer. Si le film commence comme un drame, il se poursuit comme une aventure, pleine de suspens. C’est filmé avec précision et minutie, au cœur de la vie sauvage d’un père et de ses deux fils. Ce père, que la mère compare à un gourou, rejette le système, la société, les « beaufs » qui portent les cheveux courts et dorment au chaud, mangent à leur faim, vont à l’école, consomment. La loi ne l’intéresse pas quand elle est contre lui, beaucoup plus quand elle est avec lui puisqu’il fait lui-même l’école à la maison à ses fils en leur apprenant à écrire, à compter, à penser … comme lui. Éduquer c’est toujours imposer un style de vie mais c’est surtout le combat de toute une vie. Si ces deux-là s’attachent à leur père, enfants, ils découvrent plus grands, qu’ils n’ont pas consciemment fait de choix, que toutes les ruptures étaient déchirantes. Ils savent qu’ils ont subi une enfance, certes belle et au cœur de la nature, mais aussi une vie de mensonge et de cavale. Kahn s’évertue à remettre ces deux enfants au centre de son récit, de sa caméra, à nous faire comprendre à quel point ils ont été au cœur d’une déchirure puissante.


Pas de sentimentalisme ici, mais une sauvagerie toute autre qui fait périr le sens même de la famille. D’une phrase, le père ballait l’identité de ses enfants, qui doivent changer de prénom, et Nora, son ex-femme, « et votre mère ? », « on dit qu’elle est morte ». Voilà, alors qu’il ne cesse de répéter que ses enfants sont des êtres à part entière, qu’ils n’appartiennent à personne, il les forces tout de même à une « vie sauvage » et à son éducation à lui, frugale, intense mais aussi parfois désespérément triste tant elle est aussi un combat pour une pensée unique. Quand les fils grandissent et qu’ils décident eux-mêmes pour eux-mêmes, le père y voit une agression. Ainsi, se couper les cheveux, lire un manga… deviennent autant de signes d’un rejet de son monde à lui. C’est comme ça qu’il les voit. La ville, les autres, le changement, la fin de l’isolement deviennent pourtant une tentation pour ces gamins devenus ados qui ne savent plus vraiment ce qu’ils ont choisi, ce qui leur a été imposé de force. L’un est plus tenace que l’autre, violemment opposé au père et pourtant complètement attaché à lui. Ses réactions sont totales, entières, passionnées. Il veut faire son chemin seul, tout en cherchant tout autant à tuer qu’à protéger son père. Ses réactions sont changeantes, balbutiantes à l’image de son âge et de ses premiers battements de cœur amoureux.


Le film de Cédric Kahn a deux forces : laisser à chaque protagoniste l’espace pour s’exprimer en refusant d’en juger ne serait-ce qu’un seul, et redonner toute leur place aux deux frères, au centre de ce combat père-mère. Que ce soit la vie sauvage ou un triste pavillon de banlieue, on sait que chacun a sa nuance de gris, que chacun regorge autant d’amour que d’un combat stérile. Sa caméra est précise, elle caresse les êtres, mais elle les casse aussi parce qu’après le soleil, la pluie vient toujours. De la terre nourricière, aux parents qui élèvent, plusieurs questions sont soulevées sur l’éducation et la norme, des questions qui ne trouvent pas de réponses mais sont d’intenses débatsComme un colosse, comme un chef de clan, comme un père jusqu’au-boutiste, Mathieu Kassovitz est dans un contre-emploi assez fascinant même si l’acteur lui-même ne l’ait pas vraiment dans la vie. Aigri dans les interviews, il livre ici une intensité assez belle que Cédric Kahn, très bon directeur d’acteur, recueille avec brio. Le combat n’est pas encore fini quand la police, après ses filets ratés, vient récupérer les enfants d’une société qu’ils ont été contraints – sans violence – de fuir pendant 10 ans. Leur mère est là, ils ne pensent qu’à protéger, à « sauver » leur père. « Un homme qui a simplement élevé ses enfants, vous ne voulez pas le tuer pendant que vous y êtes ?», répond le plus grand et le plus déboussolé quand les policiers lui apprennent que son père peut faire jusqu’à 5 ans fermes. Voilà que l’on rejoint la mère, devenue plus sage dans son allure, mais qui demeure une pasionaria (beau choix que Céline Sallette, l’actrice imprime tout le film de sa présence-absence qui ne dure qu’une heure pour nous mais a en réalité duré dix ans pour eux). Cette mère, otage et forcée à aller contre le désir de nature de ses fils, tente de pardonner, et pense avoir vécu des miracles. La scène est intense, elle est à l’image de la fin d’une aventure, du retour à un drame familial, nœud de tout le film. Le seul vrai miracle ici, c’est de montrer qu’éduquer, choisir mais surtout s’aimer « c’est sans fin en fait », comme le dit si bien Cédric Kahn**.


*Le livre, réédité par l’occasion, s’intitule Hors système, 11 ans sous l’étoile de la liberté, a été écrit par Xavier Fortin et ses deux fils


** Dans un entretien sur France Info


A propos du fait divers: trois points de vus, les médias, les deux frères et Cédric Kahn


En mars 2009, Xavier Fortin est condamné à deux ans de prison, dont vingt-deux mois avec sursis. Onze and plus tôt, il avait récupéré ses deux fils, 6 et 7 ans, chez leur mère. Il ne les ramènera jamais. Vie Sauvage retrace les 11 années de cavale de Xavier, Shahi Yena et Okwari à l’écart de la vie moderne et sociale. Les médias se sont rapidement emparés de l’affaire, notamment via le combat de la mère, Catherine Martin.


Les deux frères, Shahi Yena et Okwari, ont vu le film et ont déclaré à son propos, sur France Info, « ce film reste fidèle à notre histoire. 60% de réel, 40% de fiction ».


Quant à Cédric Kahn, il a expliqué son choix, pour la deuxième fois, d’adapter un fait divers, sur France Info: « Finalement, quand on rentre dans un fait divers, on s’approprie l’histoire de quelqu’un d’autre. Ce qui est assez beau, c’est qu’on devient soi-même un enquêteur. » Et sur le film en particulier : » Moi, plus je suis rentré dans cette histoire, plus je me suis dit « c’est ça » et puis « non c’est plutôt ça ». Qu’est-ce que c’est que d’être père, d’être mère, d’être parents, en général? ». Pour réaliser ce film, Cédric Kahn a dû jouer sur la carte de la réconciliation en réunissant la validation de Xavier Fortin, de ses deux fils mais aussi de Catherine Martin, la mère, qui n’a plus beaucoup de contacts avec ses enfants à ce jour.


Bon à savoir : Vie Sauvage n’est pas le premier long métrage sur l’affaire Fortin, un autre film est sorti en avril 2014 sur les écrans français. Il s’agit de La Belle vie de Jean Denizot.

eloch

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