Après un premier film remarqué (Vanishing waves, 2012), le duo franco-lituanien Kristina Buozyté / Bruno Samper était parti voir ailleurs avec des projets qui se sont enfoncés dans l'enfer du développement. Ils sont finalement revenus en Europe pour développer Vesper Chronicles durant environ six ans.
Le film s'est tourné en Lituanie (terre natale de la réalisatrice) dans des conditions peu optimales. Samper disait ainsi au magazine Cinemateaser (*) que les repérages étaient impossibles car il neigeait encore deux semaines avant le tournage, les obligeant à les faire durant les prises de vues. Ce qui n'a pas empêché les complications liées à la météo (le froid, la pluie), d'autant plus que le film s'est quasiment tourné en pleine nature, devant aucun fond vert et les seules scènes en studio sont celles en intérieur.
Vesper Chronicles n'est pas non plus un blockbuster et a dû coûter l'équivalent du budget cantine de Valérian (400 000 euros viennent d'Eurimages, le reste du budget ne devant pas être spectaculaire). Pourtant, il ne donne jamais l'impression d'un film fauché ou en manque d'argent pour développer son univers. Les effets-spéciaux sont bien réalisés, allant d'effets réalisés à même le tournage à des images de synthèse.
Il est ainsi difficile de différencier la version mobile du robot et sa version numérique créée par Mac Guff (oui les créateurs de Moi, moche et méchant). Cette dernière était utilisée lors des scènes dialoguées, le drone faisant beaucoup trop de bruit. La tour a été partiellement construite, donnant un vrai sentiment de vertige. Les décors font concrets, quand bien même certains éléments sont rajoutés en post-production.
Le film dénote également avec les films post-apocalyptique récents jouant à fond sur la dystopie, le zombie ou l'ensoleillement qui rend fou. Ici, le monde a été tellement désagrégé par l'Homme que la Nature a repris ses droits. A force de jouer avec, certains organismes génétiquement modifiés ont fini par être nuisibles pour l'Homme, entraînant un environnement aussi imposant que toxique.
Il y a alors trois types d'humains. Les riches sont présents dans les citadelles, des bâtiments hyper sophistiqués mais loin de la nature. Les gens en dehors sont classés en deux catégories. Il y a ceux essayant de survivre ici et là comme l'héroïne Vesper (Raffiella Chapman), son père (Richard Brake) et la famille de son oncle (Eddie Marsan) ; puis il y a ceux qui récupèrent la ferraille vêtus de haut en bas, apparaissant comme des fantômes. Au final, l'Homme se révèle aussi dangereux à l'intérieur qu'à l'extérieur, les premiers envoyant leurs anges de la mort pour tuer ceux qui peuvent les compromettre ; les seconds allant aussi bien dans la consanguinité (la famille de l'oncle ne semble pas saine du tout) que dans l'infanticide.
Vesper apparaît comme un des rares espoirs dans un monde qui continue de s'entretuer plutôt que de trouver une solution non-violente à sa survie. Preuve en est avec ses plantes expérimentales et ses méthodes pour survivre en nature hostile. Vesper se dévoile d'office comme attachante malgré ses défauts.
Son père est un vestige de la guerre, handicapé à vie et ne s'exprimant qu'à travers un robot. Cela va d'ailleurs assez loin, car le robot lui permet de voir, agir et parler. Il apparaît comme un substitut de son corps malade. D'ailleurs, les interractions entre Raffiella Chapman, le robot et Richard Brake fonctionnent du tonnerre, au point que Brake et le module ne semblent faire qu'un.
A eux se rajoutent un être mystérieux dévoilant ses cartes petit à petit et confirmant un aspect souvent vu dans une certaine tranche de la science-fiction.
Rosy McEwen joue au final un robot si perfectionné qu'on ne remarque que tardivement qu'elle en est un. Un robot capable d'émotions, au point de se demander si elle n'est pas plus humaine que la plupart des hommes présents dans le film.
D'ailleurs, il est amusant que sa première apparition soit dans une tenue proche de celle d'Alice au pays des merveilles, avec des plantes se nourrissant de son sang.
Vesper Chronicles se dévoile comme une superbe œuvre post-apocalyptique, parlant de l'actualité à sa manière (l'écologie, mais aussi la géopolitique) et avec un univers cohérent et concret. Sachant que l'ensemble est mature, n'hésitant pas à choquer quand il le faut. Il est même dommage que certains aspects ne soient pas plus exploités comme la nature jamais dévoilé des assaillants ou à quoi ressemble l'intérieur des citadelles. Idem pour une fin un peu brutale. Mais au vue du budget, on ne peut pas reprocher aux réalisateurs d'avoir été à l'essentiel, tout en captivant le spectateur avec ce qui est déjà présent.
Au vue des chiffres du box-office (112 918 entrées à l'heure actuelle pour un film qui n'a pas eu non plus un énorme taux de copies) et de l'accueil très positif réservé au film, pas sûr que Vesper Chronicles soit oublié aussi rapidement que d'autres essais récents de science-fiction française. Son tournage en anglais devrait même lui permettre de toucher un public international large. Comme quoi, c'est parfois de projets sortant de nulle part que les plus beaux "films de genre" français émergent...
* Voir Cinemateaser numéro 114 (été 2022).