« Vraisemblablement, les valeurs universelles ont volé en éclat avec violence et furent vaincues par une vision virile et venimeuse de la civilisation. Cette victoire des vicieux et des voyous est à vrai dire une vitrine vérifiable et visible de l’appauvrissement de la vertu et de la vaillance véritable. Voyez-vous, depuis que le virage s’est révélé mauvais et va-t’en-guerre, mon vœu revendiqué est de valoriser de nouveau les vieux vestiges des valeurs humaines, pourvu que la vigilance ne soit pas vacillante. »


Après ces quelques lignes provenant d’une inspiration fortuite et passagère, il est temps de parler de V. Pas seulement du personnage, mais aussi du film. Et les deux ont assez de substance pour pouvoir débattre durant des heures (ou des nombreuses pages en ce qui nous concerne). N’ayant pas lu le comics, je suis totalement incapable de dire si le film est fidèle au matériau originel, mais qu’importe après tout. Le film se suffit à lui-même et il n’a pas de comptes à rendre, c’est une œuvre à part entière et elle n’a pas d’obligations de fidélité. Je n’ai jamais ressenti le besoin de me pencher dessus parce que je suis un adorateur inconditionnel du film de James McTeigue, qui fait une carrière assez minimaliste pour le moment il faut bien le reconnaître. Rien de grave, James a pondu son film, ou du moins le mien, tant il me parle. Il est un peu le fruit d’un mélange de tout ce que j’aime dans le cinéma, c’est pourquoi j’ai voulu entamer cette critique sur ce film plutôt singulier. La portée de ce film sur mon for intérieur n’est pas faible, loin de là : on parle de l’un des films que j’ai le plus vu dans ma vie, et que je prends plaisir à revoir régulièrement encore aujourd’hui. Appelons ça de la folie, un jugement aveugle ou du bon sens, peu importe. Les films sont avant tout jugés subjectivement, avec des petites doses d’objectivités par-ci par-là (cohérences, performance des acteurs -et malheureusement là aussi on peut presque toujours en discuter-, incitations à la réflexion…). Pourtant, je vais essayer de vous expliquer ce qui me plaît tant dans ce film, parce c’est bien sympathique de dire que c’est subjectif, il faut aussi savoir mettre des mots sur ce que l’on aime. Généralement si on n’y arrive pas c’est qu’il y a un problème plus profond. Qu’est-ce qui me plaît tant dans ce film, et qu’est-ce qui pourrait vous inciter à le revoir sous un œil nouveau, peut-être plus indulgent ou disons préparé ?


Je suis un fada des univers anticipatoires/futuristes, d’autant plus lorsque les Régimes font régner la terreur et c’est le cas pour tous les genres : les films (V pour Vendetta, Avatar, Les fils de l’homme), les animés (Code Geass – Le louch of the Rebellion), les livres (1984) ou les bd (l’Univers étendu Star Wars… ah pardon ça ne compte pas j’avais oublié ! C’était il y a longtemps, bien longtemps…). Autant le dire tout de suite : l’univers dépeint dans V pour Vendetta n’est pas glauque comme dans les films de post-apo mais c’est une dictature terrible et intransigeante. La plupart du temps on est aux côtés de V, un personnage irrésistible et charismatique, qui va mettre à mal un Régime tout entier. Mais il faut bien prendre conscience (et cela est relativement bien montré dans le film) que le peuple est surveillé sans arrêt et qu’il ne dispose d’aucune liberté. « La liberté c’est l’esclavage » disait l’un des slogans du Big Brother dans 1984. Cette idée est très largement reprise dans V pour Vendetta, et c’est à la fois fascinant et révoltant. L’effet est simple : le Régime est tellement odieux et cruel qu’on prend un malin plaisir à voir V assassiner les membres éminents du parti et à les faire souffrir, avant tout psychologiquement d’ailleurs puisque V n’est pas un tortionnaire. C’est une œuvre extrêmement intéressante d’un point de vue science-politique : on y voit les mécanismes de contrôle des masses, de la terreur ou bien de la façon de prendre la pouvoir par les élections et de s’y maintenir. Le fait d’évoquer la science-politique est évidement un moyen de nous questionner sur notre propre existence et est une mise en garde prononcée sur les dangers qui nous guettent. Aucun Régime n’est à l’abri et c’est la même chose pour les peuples, tout peut basculer d’un moment à l’autre.

Ce message peut paraître un peu évident et banal, puisque même les films teenagers parlent de ces thèmes là (Hunger Games, Le labyrinthe). Cela étant, le trait est bien moins grossier et facile dans V pour Vendetta, et toute cette problématique science-politique est alimentée par des dialogues d’une grande finesse. Je vous en fais partager ci-dessous quelques-uns :



Même si on peut substituer la matraque à la conversation, les
mots conserveront toujours leur pouvoir, les mots sont le
support de la compréhension et pour ceux qui l’écouteront de
la vérité, et la vérité, c'est que quelque chose
va très mal dans ce pays.



Les artistes utilisent les mensonges pour dire la vérité et les
politiciens les utilisent pour cacher la vérité.



Sous ce masque il y a plus que de la chair, sous ce masque
il y a une idée, et les idées sont à l’épreuve des balles.



Je ne mets en réalité que trois courtes citations qui comptent parmi mes préférées mais le film est de ce niveau tout le temps, au moins pendant que V parle. Des films des années 2000, c’est peut-être le film qui possède les meilleurs dialogues. Et je ne prends que les années 2000 pour ne pas créer de faux débats. Outre ces paroles élégantes à la tournure subtile, V possède un charisme fou. Le passage du discours est un des moments favoris et il faut un acteur comme Hugo Weaving pour le magnifier, pourtant caché sous son masque tout du long. L’écriture concernant le scénario et le déroulement des scènes est aussi de qualité : on sent une tension qui monte et on se sent de plus en plus pris en tenaille par l’étau du Régime. La fameuse scène des dominos est elle aussi brillante, elle réussit à capter tout ce qui fait l’essence du pouvoir dictatorial en quelques minutes, avec un mélange de passé, présent et futur.


Le film réussit très bien à saisir les choses essentielles et il peut aussi se targuer d’avoir un très bon montage, agrémenté d’une musique absolument géniale. J’ai pu la réécouter en réalisant cette critique, et elle fait sans doute partie de mes bandes originales préférées. Elle inclue des séquences épiques, avec une rythmique intense et mélodieuse, mais aussi des moments de bravoure comme Evey reborn qui contient une montée en puissance qui me donne des frissons à chaque fois que je l’écoute. Tout ceci (montage, musique, univers) participe à l’ambiance réussie du film, qui a su trouver un juste milieu entre la noirceur absolue et le film dramatique. Ce juste milieu peut aussi agacer certains puisqu’il peut très bien être considéré comme pas assez sombre ou bien il sera trop obscur pour les amateurs exclusifs de comédies romantiques. Personnellement, je suis en total accord avec le choix emprunté par la direction artistique et par les créateurs. Sans me choquer outre mesure, je me souviens avoir été marqué la première fois par une certaine violence psychologique, surtout lorsque


Evey est enfermée dans la fausse prison mise en place par V. L’histoire de Victoria et de sa relation homosexuelle est extrêmement touchante et triste, j’ai du mal à ne pas être ému à chaque fois.


V pour Vendetta a marqué une génération et continuera à le faire avec les suivantes. C’est aujourd’hui un film culte aux thèmes intergénérationnels et intemporels. Le fait est que ce n’est pas à ça que le film doit son succès : il a su jongler sur plusieurs points forts (techniques et scénario), il a un souffle fou et une ambiance que l’on ne retrouve pas dans les autres les films d’anticipation.


On peut reprocher au film de placer le système politique plus en avant que les personnages, ce qui nous facilite pas la tâche pour nous accrocher à eux. Mais le film a fait un pari, et c’est à mon avis le bon choix. De toute manière, l’exact opposé (Les fils de l’Homme) est aussi une grande réussite, donc les deux sont viables. Afin de terminer en beauté, je laisse la conclusion à V :


« Voilà ! Vois en moi l'image d'un humble vétéran de vaudeville, distribué vicieusement dans les rôles de victime et de vilain par les vicissitudes de la vie. Ce visage, plus qu'un vil vernis de vanité, est un vestige de la vox populi aujourd'hui vacante, évanouie. Cependant, cette vaillante visite d'une vexation passée se retrouve vivifiée et a fait vœu de vaincre cette vénale et virulente vermine vantant le vice et versant dans la vicieusement violente et vorace violation de la volition. Un seul verdict : la vengeance. Une vendetta telle une offrande votive mais pas en vain car sa valeur et sa véracité viendront un jour faire valoir le vigilant et le vertueux. En vérité, ce velouté de verbiage vire vraiment au verbeux alors laisse-moi simplement ajouter que c'est un véritable honneur que de te rencontrer. Appelle-moi V. »

MatthieuS
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le 24 janv. 2018

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MatthieuS

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