(Cette opinion porte pèle-mêle sur le fond, la forme, les idées, le style, le scénario, sans prendre en compte l'adaptation d'un comic non lu...)


Le film idéal pour un amoureux inconditionnel de l'esthétique dystopique des Watchmen en version salles obscures... Une intuition me soufflait, pourtant, que l'univers des Watchmen semblait davantage s'apparenter à un poème lyrique, tandis que celui de Monsieur V ressemblait plus à une strophe engagée... Serait-ce cette divergence ressentie au premier abord qui a conduit à une perception si différente de ces deux œuvres ?


Ce n'est pas faute d'avoir trouvé des qualités au poème cinématographique : un héros très "Bergeracien", un travail sur la langue prometteur au départ (sauf pour les chauvins linguistiques, la version française de la tirade en "v" évoque furieusement une récitation de Racine par un intermittent de la Comédie Saint Michel sous perfusion de caféine), une ville londonienne plongée dans la brume... Finalement, que des qualités d'ordre lyrique dans un poème qui se veut engagé...


Il semblerait que le scénario et la réalisation s'unissent pour confirmer les dires marxistes : « tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois, la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ». Ainsi l'attentat manqué de Guy Fawkes sur le Parlement britannique en 1605 est repris dans une nouvelle mise en scène de V, qui aurait dû être un one-man-show épique du même V. Sauf que, pour satisfaire le cahier des charges d'une production hollywoodienne, on y a ajouté une égérie de Dior... Résultat, Portman "stole the show", mais au mauvais sens du terme. Oh, cela ne remet pas en cause son jeu (les acteurs, surtout Stephen Rea, sont très bons), seulement sa présence un tantinet imposante sur l'affiche de ce qui aurait fait un monologue acclamé par la critique si V avait eu une liberté artistique totale dans la représentation de l'œuvre de sa vie. Finalement, les 6 points vont à ce héros tragique et incompris qui, jusqu'au salut final, se sera débattu avec les règles de bienséance et de vraisemblance du (théatre)cinéma classique.


Le film est ancré dans un univers lyrique, peu réaliste bien souvent (ce qui n'est en aucun cas un frein au message qu'il voudrait faire passer), dans un monde symboliste qui se veut probablement subtil et poétique. Un monde des symbole où, comme dirait M. Baudelaire,


"Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent."


Oui, mais voilà, la surabondance de symboles plus ou moins discrets fait osciller le film entre la fresque Parnassienne à la Paolo Sorrentino d'un côté, et une charge de la cavalerie napoléonienne sur l'air délicat et léger de la Chevauchée des Walkyries de l'autre. Le parallèle entre V dressé, rageur, les poings levés dans les flammes et Evey, dans la même posture sous la pluie fait surtout penser au parallèle entre les réactions de Nadal et d'Ivanovic après leur victoire à Roland Garros 2008. Le symbole se fait un peu trop violence également quand, d'un même geste, la foule se défait de son masque, révélant les visages de ceux qui sont tombés pour la liberté (c'est ironique de voir que jusqu'à la fin, les masses auront agit comme des moutons de Panurge... cette scène fait d'ailleurs furieusement penser aux dominos s'écroulant à la chaîne après une petite pichenette de V un peu plus tôt).


Le sonnet engagé est souvent manichéen jusqu'à la nausée, à l'image de ce prêtre pédophile bien dans son temps, qui incarne une institution clé (la religion) de la "superstructure" censée aveugler le peuple comme un nuage d'opium. Mais il n'est rien d'autre qu'un opportuniste terne, qui n'a cure des intérêts du parti comme on le comprend dans un scène particulièrement peu subtile, ne pensant qu'à la satisfaction de ses désirs matériels et physiques... Encore un cliché qui finit par imposer des idées reçues : ainsi, les leaders d'un tel régime totalitaire ne seraient en fait que des tristes arrivistes, mus pas l'intérêt et non par la beauté de l'idée, aussi laides soient ses conséquences... Car quel meilleur contrepoids à la superbe flamboyance de l'idée révolutionnaire et anarchique qu'un équivalent, certes fasciste et tyrannique, mais au moins convaincu et sincère ? Quel meilleur méchant dans une histoire où le héros est bon qu'un méchant vrai et entier, radical jusqu'à l'extrême ? Ces "méchants"-là sont des pantomimes, des magiciens du compromis, des fonctionnaires aux traits grossis (volontairement ?) pour provoquer un dégoût irréfléchi, mais dont les détails du visage les plus poétiques semblent avoir été gommés par le Ministère hollywoodien de la Simplification.


Quant à la problématique morale, classique mais essentielle, inspirée de Camus dans Les Justes (la violence pour la liberté ?), elle est allègrement snobée. Plus largement, on donne à penser sur un peuple à qui on interdit de réfléchir, mais en limitant la réflexion au minimum syndical en laissant aux plus courageux le soin d'échafauder leur réflexion philosophique. Pour les autres, circulez, y'a rien à voir.


Évidemment, ce film est une perche tendue avec beaucoup d'insistance : il est limpide et séduisant dans sa dénonciation du Système avec un grand S; oh qu'il est tentant d'apprendre par cœur, comme une poésie engagée (ou comme le manifeste d'un parti qu'on ferait apprendre à des écoliers...), les diatribes enflammées de V ou d'Evey, de la même manière que le héros a appris par cœur les dialogues du Comte du Monte Cristo... Qu'il est tentant de brandir cette œuvre comme un référence, de citer V comme un modèle... de vie; attention cependant à ne pas s'aveugler en voulant rendre la vue aux autres.


Et qu'il est tentant, désormais, de lire le comic originel, pour se convaincre une fois de plus, certainement, que l'adaptation est un jeu dangereux...

asmar007
6
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le 25 juil. 2016

Critique lue 316 fois

asmar007

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