De François Ozon, on retient souvent cette tendance à flirter avec le mauvais goût, à être toujours à la limite du grotesque. Cela s'explique certainement par son non-choix de genre (mais est-on forcé de choisir ? ça marchait très bien pour le récent "Les combattants", hybride au possible). Toujours pris entre deux eaux, le spectateur est comme déconcerté ("Jeune et Jolie" / "8 femmes" / "Dans la maison" ou encore le plus discutable "Ricky" l'ont maintes fois démontré). Avec "Une nouvelle amie", on est comme dans le paroxysme d'une filmographie tiraillée entre drame et burlesque. Et ce à l'image du personnage joué par Romain Duris, tantôt déchiré par la perte de sa compagne, tantôt entraîné par sa volonté de devenir autre, de s'assumer comme tel. Le film sait être bouleversant, même si on n'échappe pas à quelques "clichés" (assumés et mesurés) sur les femmes. Là est l'autre ambiguïté du réalisateur, de l'homme : aime-t-il vraiment les femmes, auxquelles il consacre presque tous ses films?

Mais le vrai raté du film c'est son démarrage, il peine à trouver réellement son sujet dès le début parce qu'il s'attache trop à des personnages qui ne seront finalement que des faire-valoir, des prêts-à-psychologiser les "personnages principaux" (notamment le véritable désir/fantasme de Claire). La mort de Laura sert de de déclencheur, rendant plus intime la relation entre Claire, sa meilleure amie, effacée dans la relation et David, qui n'assume son désir de transformation que dans l'ombre de sa femme. Les deux personnages, l'un comme l'autre, se révéleront à eux-mêmes dans cette quête existentielle qui les balaye et tout deux devront (ré)apprendre à s'aimer sans Laura. On regrettera cependant que le sympathique rôle de mari naïf donné à Raphaël Personnaz, soit si vite balayé... Son seul intérêt est d'ajouter un goût de transgression au bonheur non feint qu'elle a à passer ses journées, en secret avec Virginia, sa (nouvelle) ami(e).

Mais au delà du rire qu'entraîne, au premier abord, la transformation de David et par delà de Romain Duris, que l'on connaît davantage comme un acteur "viril", le discours, sans l'assumer complètement, est aussi profondément bouleversant. Derrière des dialogues et des attitudes qui parfois frisent le ridicule, où l'on a du mal a bien comprendre toujours le discours d'Ozon, se cachent des scènes plus bouleversantes, plus vraies (notamment celle au Cabaret, ou une fois les deux ami(e)s débarqués dans la maison de famille de Laura). Et Romain Duris était parfait pour ce rôle, lui qui s'inspire du corps et de la voix pour créer (cf "La nuit juste avant les forêts", mis en scène par Chéreau, il y a quelques années), nous surprend. On croit d'abord qu'il surjoue, qu'il est mal à l'aise mais il se révèle peu à peu, de plus en plus surprenant dans son rôle, parce qu'il laisse le temps à son personnage de se découvrir, de s'approprier vraiment ce qu'est être femme. D'ailleurs, et c'est là la force d'Ozon, il n'y a pas une définition de la femme. "C'est quoi vivre en femme?" demandera Claire à David, bien incapable de le savoir vraiment. Pour lui, c'est s'assumer travesti, dans une société qui peine et peinera encore à l'accepter. Quant à Anaïs Demoustier, parfaite comme toujours, elle donne à ce personnage de jeune femme, autrefois ombre de son amie défunte, une certaine masculinité que l'on attendait pas. Par le vêtement, elle apparaît parfois en costume au côté de Virginia, très féminine, paradoxalement. Avant d'accepter elle aussi, de porter d'autres vêtements qui la définissent autrement, toujours par le corps. Mais c'est surtout dans son visage que l'on lit cet entre-deux qu'Ozon n'assume pas complètement, qu'elle transgresse : son visage dit toutes les émotions mais il dit surtout l'espièglerie. Le bras d'honneur à la vie qui nous fait femme ou homme dans une société ultra codifiée où l'on crie pourtant, la nuit, le jour, partout : "je suis différent".

Dommage que le film ne choisisse pas un chemin plus clair, que beaucoup de questions soient diluées dans une fausse légèreté. On peut quand même lui accorder que le sujet est bien assez lourd déjà pour trop en ajouter et que le pathos aurait été malvenu. C'est une fresque que le changement, Xavier Dolan nous l'avait déjà brillamment montré avec "Laurence Anyways", qui s'écrivait dans l'excès, lui aussi, laissant au personnage le soin de se confronter à lui même. Mais sa force, c'est de déconcerter, toujours, à l'image de Virginia/David qui nous laisse souvent surpris, agacés ou attendris. Il ne peut que l'être, entre-deux, toujours, puisqu'il habite un corps qui ne lui correspond pas.

On déplore alors une fin sobre mais "trop belle" qui dit que tout, toujours, peut recommencer. Autrement et de manière désespérément identique à la fois... Qui ne verra pas en Lucie, la Laura d'autrefois ? La mise en scène, plutôt brillante, le démontre assez bien, ne cessant de confronter les personnages à un inattendu de l'image, de la rencontre, du corps que le spectateur pressent par avance. C'est le décalage qui manque alors, on ne mesurejamais la part de recul qu'a Ozon sur son sujet... Mais on ressort plein de questions, à la croisée de plusieurs vies, qui existent, quoi qu'il arrive !
eloch

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26
7

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