Une famille syrienne est une immersion intimiste au cœur de l’appartement d’une femme qui tente de protéger sa famille, tout en remettant en question la notion de courage. Plus métaphorique que réelle incursion dans les tenants et aboutissants du conflit syrien, le film de Philippe Van Leeuw est un huis clos étouffant et angoissant.


De la bande de Gaza, on avait reçu en 2015 Dégradé, huis clos dans un salon de coiffure où quelques femmes s’opposaient déplaçant alors le conflit de l’extérieur (la rue, le pays) vers l’intérieur. Avec Une famille Syrienne de Philippe Van Leeuw, réalisateur et scénariste belge, c’est autre chose qui se joue. Aucun indice, sinon le titre, ne peut situer le film en Syrie plutôt que dans un autre pays en guerre. Pourtant, Une famille Syrienne est une des premières fictions à nous parvenir sur la guerre en Syrie. Or, ce qui semble intéresser ici le réalisateur, c’est la vie de famille confrontée à la guerre, le quotidien tel qu’il se réinvente dans l’enfermement contraint. Tel Stephan Streker, lui aussi belge, avec Noces, Philippe Van Leeuw choisit la guerre comme toile de fond plus pour nouer et dénouer des conflits intérieurs, parler de courage, de culpabilité, de lâcheté, d’ambivalence que du conflit en Syrie. L’idée est ici de mener à son terme une tragédie théâtrale. Tous les ingrédients sont réunis, de l’unité de temps (24h) et de lieu (la maison de la famille « recomposée ») au dilemme/secret qui gangrène certains des personnages et les précipite vers une chute certaine. Ce secret c’est la mort du mari de la voisine (Hamila), recueillie avec son bébé après la destruction de son appartement, que l’aide ménagère de la maison voit depuis sa fenêtre, raconte à la maîtresse de maison, véritable chef autoritaire et froid, qui lui somme de ne rien dire. Plus tard, le grand-père (seul figure tutélaire, le père étant absent ), sera lui aussi intégré dans la boucle du secret. Autour de ces trois personnages, dont l’un seulement est clairement incarné, dessiné, gravitent d’autres personnages : les enfants des propriétaires de l’appartement ainsi qu’un petit ami casse-cou venu sans autorisation retrouver sa dulcinée. Tous sont mus par la peur et c’est à peu près l’unique sentiment dont ils seront flanqués jusqu’à la fin du film, ce qui est un peu dommage.


Deux femmes dans la tourmente


En réalité, Philippe Van Leeuw dresse le portrait de deux femmes, interprétées respectivement par Hiam Abbass (La source des femmes) et Diamand Bou Abboud (actrice libanaise). Les deux femmes s’affrontent presque, l’une détenant un secret, l’autre se sacrifiant dans une scène d’agression resserrée sur son regard et particulièrement éprouvante. Tout se joue donc dans l’humain et ses réactions, au plus près des choix individuels à la manière de Dunkerque dans lequel Christopher Nolan s’intéressait à des visages, des anonymes qui devaient prendre des décisions aussi rapides, radicales que parfois insensées pour sauver leur peau, survivre. Si une forme de solidarité a pu se nouer entre les deux femmes, la défiance reste omniprésente, même quand Hamila dit à son hôte qu’elle l’admire désormais après l’avoir un temps détestée. Lorsque la journée s’achève, banalement, tristement, horriblement ordinaire, tous les fils ne sont pas encore dénoués. Et c’est sur une larme de vieil homme, celui qui pense et a dit au cours du film que son pays n’était plus rien, que le film tire sa révérence. Le dispositif cinématographique est simple, la réalité présentée très brute, au milieu d’un scénario très écrit à la manière d’un film d‘Asgahr Farhadi qui avec Une séparation déjà mettait en scène, en les suivant caméra au poing, des humains confrontés à la foi, l’honneur, la peur. Ici, c’est l’angoisse qui fait agir et c’est aussi elle qui maintient le spectateur en éveil, mais impuissant.

eloch
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le 28 août 2017

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