Avant d’écrire et mettre en scène ses propres long-métrages, l’anglais Jonathan Glazer s’est d’abord taillé une solide réputation de réalisateur de clips et de publicités dans les années 90. Il a notamment Avant d’écrire et mettre en scène ses propres long-métrages, l’anglais Jonathan Glazer s’est d’abord taillé une solide réputation de réalisateur de clips et de publicités dans les années 90. Il a notamment travaillé avec Massive Attak (Karmokoma), Blur (The universal), Jamiroquai (Virtual Insanity), RadioHead (Karma Police), Nick Cave (Into my arms) ou encore UNKLE (Rabbit in your headlights). La collection Director’s Label : The work of director avait d’ailleurs sortit au début des années 2000 une édifiante série de DVD compilant sur support numérique ses meilleurs travaux (à l’instar de Michel Gondry, Spike Jonze ou encore Anton Corbijn).


On doit également à Jonathan Glazer des publicités cultes qui sont encore dans les mémoires : Odyssey et Kung fu pour la marque Levi’s pour ne citer qu’elles car les marques Sony, Nike, Barclays ou encore Guinness ont elles aussi fait appel au talent du britannique dans la même période. Se cherchant un style tout en se perfectionnant techniquement, il développera au fil des ans une esthétique de la sidération qui consiste à saisir les expressions de visages et les textures de la peau avec des plans serrés et un jeu de lumière sophistiqué et hyper contrasté.


Glazer s’épanouira surtout avec son second film Birth, film de 2004 (son premier étant Sexy beast réalisé en 2000), ou Nicole Kidman s’éprend d’un jeune garçon de dix ans qui prétendra être la réincarnation de son mari défunt. Avec ce thriller fantastique et psychologique, qu’il a co-écrit avec le pluridisciplinaire Jean Claude Carrière (Belle de jour, La piscine, Le tambour, Le retour de Martin Guerre, Cyrano de Bergerac, etc), Glazer n’abandonnera pas totalement l’influence de Stanley Kubrick dont l’ombre était déjà perceptible sur certains de ses clips. Le plan séquence du début de Birth comme les lumières chaudes et monochromes des intérieurs reproduisaient avec élégance les ambiances de Shining et Eyes Wide Shut : Kidman a d’ailleurs jouée dans ce dernier et ce n’est pas un hasard !


Sans afficher outrageusement l’amour qu’il portait au maître, Jonathan Glazer a su intelligemment puiser dans ses oeuvres sans en faire non plus l’attraction principale de son film. En s’appliquant méticuleusement à saisir toutes les émotions de ses personnages dans un montage hypnotique et lymphatique, Glazer s’était enfin affirmé comme cinéaste-auteur en gagnant quelques prix et la critique était elle aussi tombée sous le charme de Birth et de la prestation de Nicole Kidman qui, depuis ce film, n’a plus eu d’aussi beau rôle !


Jonathan Glazer patienta presque une décennie pour réunir les fonds nécessaire afin de garder un contrôle total sur son troisième film. Après plusieurs années d’intense labeur et de multiples réécriture pour adapter à l’écran le livre de Michel Faber, le cinéaste ne retiendra au final qu’une partie de l’intrigue préférant centrer son récit sur la solitude et l’humanisation de son protagoniste. Mais si son talent de technicien de l’image n’est toujours pas à contester, je trouve sa nouvelle oeuvre un peu en dessous de son précédent et j’ai donc été, sur le coup, un peu déçu …


On a vraiment l’impression qu’Under The Skin se cherche en même temps qu’il essaye de s’imposer comme une évidence aux yeux du spectateur. Habité par une volonté d’être un film ‘autre’, le film essaye tant bien que mal d’exercer un pouvoir de fascination sans parvenir à captiver nos sens du début à la fin, même si parfois des scènes m’ont littéralement scotché par leur beauté plastique. L’incroyable utilisation du son et le score aussi étrange que lancinant de Mica Levi (1) procurent par contre une sensation étourdissante et troublante, et sont vraiment en phase avec les images.


Mais à part quelques coups d’éclat et l’envie du cinéaste de trancher sévèrement avec la production actuelle, je trouve qu’il a un peu de mal à maîtriser tous les aspects de sa mise en scène. Le montage alterne par exemple des plans cadrés sur les visages et dépouillé à l’extrême avec une image granuleuse façon caméra cachée (2) et les opposent à des plans aux décors surréels et artys hyper léchés qui tranchent radicalement avec les autres images ! Le mariage entre ces deux formes antinomiques essayent de trouver un équilibre autour du protagoniste qui vit concrètement sur deux mondes bien distincts, mais je n’ai jamais été convaincu par ce que je voyais à l’écran. Pendant toute la séance, j’ai eu alors cette étrange impression de voir plusieurs films en un, sans pour autant trouver le film repoussant.


Quand l’héroïne commence à s’humaniser au contact d’un garçon au visage difforme qui lui semble différent de ses autres proies (il n’est pas un humain monstrueux comme la plupart de ses victimes mais un monstre avec un coeur humain), Glazer commence alors à intégrer des images de la campagne écossaise pour illustrer les changements psychologiques de son personnage principal. Là encore, on sent le besoin du cinéaste de tenter des parti-pris esthétiques radicaux mais, trop confiant et conscient de ses effets, le rythme apathique et froid de la narration et la mise en scène voulant à tout prix exalter son sujet dans une certaine forme d’épure évocatrice et poétique, il ne parvient pas à mes yeux à faire une oeuvre cohérente et singulière.


Usant de la répétition, de cadrage figé et de symbolisme, Under the skin s’embourbe un peu trop dans une abstraction formelle chaotique, sans être cependant dénué de poésie et de grâce par instant fugace. Le film reste captivant et attachant car le parcours initiatique de l’extra-terrestre n’a aucune fausse note. Si visuellement il possède malgré tout un charme certains qui n’appartient qu’à lui et si je n’ai pas adhéré à cent pour cent à l’oeuvre de Glazer, Scarlett Johansson était quant à elle l’actrice idéale pour ce rôle.


Alors qu’elle n’a prêté que sa ‘voix’ à Spike Jonze pour son inégal mais touchant Her, elle est d’abord et surtout un ‘corps’ chez Glazer ! Si les silences dominent le film de bout en bout, elle ne prononcera en tout et pour tout qu’une quinzaine de phrases pour embobiner les hommes qu’elle rencontre en les invitant à monter dans sa camionnette. Ses courbes affolantes et son physique transpirant de sensualité ne sont pourtant ici que la peau d’un extra-terrestre. Le corps que nous voyons à l’écran n’est donc qu’un masque séduisant et attirant qui cache un alien, un ‘autre’ que nous ne voyons pas.


Avec ce rôle, rarement le statut iconique de l’actrice aura trouvé une telle résonance avec le sujet et le fond d’un film ! C’est d’ailleurs vers cette lecture qu’il faut se pencher pour saisir toutes la richesse et les nuances de l’oeuvre. En acceptant de représenter simplement un corps à l’écran, Scarlett Johansson ose même apparaître totalement nue sans aucun artifice dès son apparition : seules quelques ombres viennent camoufler la rondeur de ses formes derrière ce fond blanc irradiant qui inhibe tout l’érotisme de la scène.


Le parcours initiatique de l’héroïne sera donc d’apprivoiser en même temps que d’accepter ce corps étranger qui deviendra le sien, en témoigne ses longues scènes ou elle s’observe dans un miroir en désirant être ‘autre’. Désormais étrangère aux siens, aux humains et à elle même, l’héroïne s’attache finalement à son enveloppe charnelle en rêvant de pouvoir être cet ‘autre’ qu’elle n’arrête pas d’observer. Mais tout ça n’est qu’illusion ! Elle ne pourra jamais être ce que lui renvoie sa nouvelle chair à laquelle elle s’identifie désormais puisqu’il lui est impossible d’ingurgiter de la nourriture humaine.


Cette deuxième partie du film, plus intimiste, plus minimaliste mais aussi plus tragique, est celle que j’ai préférée. Jonathan Glazer saisit avec plus de retenu et de simplicité toute l’intériorité du personnage. J’ai encore en mémoire ce magnifique plan ou l’héroïne s’endort paisiblement dans une cabane et, par un subtil effet de surimpression, nous la voyons se lover miraculeusement au coeur d’une forêt. J’avoue avoir ressentit un moment d’apaisement particulièrement émouvant : cette scène magique tient du merveilleux (photo en dessous) !


Scarlett Johansson, star hollywoodienne dans toute sa splendeur, aura enchaîné cette année deux films qui marqueront durablement sa filmographie car depuis Match Point (2005) de Woody Allen, jamais elle n’avait autant impressionné tout en cassant son image de blonde hyper sexualisée. Il aura fallu le talent de deux cinéastes de la même génération et qui ont, de plus, eut un parcours assez similaire pour exploiter assez intelligemment l’image de l’actrice ! Glazer en Jonze auront permis à la belle new-yorkaise de s’illustrer dans des rôles à la fois iconiques et iconoclastes et cette année 2014 sera décidément la sienne.


En mélangeant le récit de science fiction, la tragédie romantique et le thriller existentiel, Under the skin, film alien aux charmes imparfaits, sort clairement du lot et offre aux yeux du spectateur quelques images d’une grande force poétique qui resteront imprégnées dans sa mémoire. Si en sortant de la salle je n’ai pas eu l’impression de voir un grand film, je dois reconnaître que plusieurs jours après la séance, de nombreuses images me sont revenues en tête comme si le film avait pris son temps pour infuser complètement et en faire ressortir des jours après toutes ses saveurs et ses teneurs afin qu’elles s’épanouissent après coup dans mon esprit !


Mais quelle est donc cette étrange sensation qui germe peu à peu sous ma peau ?


(1) – Biographie sur wikipédia


(2) – Pour le film, le cinéaste et son équipe ont créé huit caméras uniques au monde que Scarlett portait tout le temps sur elle pour saisir les images en caméra cachée sans que les gens ne se doutent de rien. Au final, ils se sont retrouvés avec 270 heures de rushes ! (source : Ecran fantastique N°354)

Mathieu_Babhop
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le 18 août 2016

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