Désir est le nom du tramway qui mène Blanche chez sa sœur Stella. Blanche, qui vient de perdre Belle Rêve, leur propriété familiale, trouve refuge dans l'appartement miteux que Stella partage avec son mari, qui, quand il ne travaille pas, martyrise ses coéquipiers au bowling ou au poker. Une cohabitation malaisante qui enfoncera Blanche un peu plus dans ses doutes et ses troubles. Malgré une sœur aimante, les réflexions du mari se propageront et achèveront de la faire sombrer.


Le film choque par son traitement limpide des désastres causés par une société patriarcale. Il a une modernité troublante, déclinant un à un ses rouages mortifères. La violence de ce modèle de société est toute entière contenue dans la figure de Stanley, joué par Marlon Brando: un tas de muscles intimidants que font ressortir ses T-shirts collants. Un homme violent, grossier, dont la seule référence intellectuelle sera le code Napoléon, qu'il cite pour mieux asseoir la supériorité de l'homme sur la femme.


Face à lui, Blanche apparaît comme sa victime la plus parfaite. Sa vulnérabilité se manifeste dans le jeu parfait car torturé de Vivien Leigh et sa diction qui oscille entre chantonnement et apitoiement. Tout en Blanche, hormis son prénom, sera l'occasion de salir sa réputation. Elle est une femme célibataire, contrairement à sa sœur, qui ose à peine lui annoncer qu'elle est enceinte. C'est une ancienne professeure de français, une femme d'esprit qui n'est pourtant jugée que sur son apparence extérieure. Certes malheureuse en affaires car elle a perdu la propriété de leurs parents, on doute constamment de ses droits de propriété sur les robes qu'elle garde dans sa valise, violemment ouverte et dépouillée.


Les deux sœurs, qui sont donc aux antipodes, permettent de nous questionner sur la féminité et la réussite sociale et familiale. Paradoxalement, bien que victime des coups de son mari violent, Stella maintient une emprise sur lui et le domine finalement après une scène de dispute.


Un tramway nommé Désir est un drame psychologique qui déroule la violence physique, symbolique et verbale d'une société qui marque certains personnages du seau indélébile de la déviance. Ce film déroute donc, car il nous replace sans ménage dans la logique de rumeurs et cadres normatifs, assommants et grisants. A tel point que, même en tant que spectateurs, on se prendrait presque à croire en leur caractère implacable, par facilité car entrainés par cette croyance collective. Pourtant, les indices se multiplient, révélant le non-dit central à la détresse de Blanche: des hommes ont trompé Blanche et l'ont abusée. Faisant de la femme d'esprit un corps puis une coquille vidée de l'intérieur par les jugements et rumeurs colportées à son encontre. Fragilisée, honteuse, accablée, Blanche continue de se faire juger par eux, jusqu'à croire à leurs propres jugements et à s'y perdre.

Nuwanda_dps
8
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le 5 mars 2021

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3 j'aime

Emilie Rosier

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