Fin 2018, une explosion sociale spontanée, éloignée de toutes organisations syndicales et politiques, a secoué la France entière par la volonté commune d'invisibles qui vont devenir du jour au lendemain des visibles encore plus voyants du fait du gilet jaune qu'ils portent. Des invisibles devenus visibles qui ont du mal à joindre les deux bouts, qui doivent se lever tôt le matin ou qui ont trimé toute leur vie pour ramasser chaque mois une misère.


Le réalisateur Emmanuel Gras a suivi pendant six mois des gilets jaunes de Chartres (Pourquoi Chartres ? Pourquoi pas !). D'un rond-point de la ZA de la ville (pour souligner que ce n'était pas un immense mouvement compact et homogène, mais qu'au contraire, c'était divisé en une multitude de petits groupes répartis sur l'ensemble du pays !) avec des passages aux Champs-Élysées (pour mettre en avant la dimension nationale qu'a eue cette multitude de petits groupes et aussi qu'ils sont sortis des zones dans lesquels la société a pris bien soin de les mettre dans le but de les rendre les moins gênants possible !).


Évidemment le cynisme attentiste des politiques, patientant jusqu'à l'inévitable essoufflement (en prenant bien soin entre-temps de détruire ou d'épuiser toute bonne volonté à coups de matraque, de LBD et de gaz lacrymogènes !), avec la complicité de la propagande d'Etat... euh pardon... des médias (pour bien faire comprendre que tous les gilets jaunes sans exception sont des méchants racistes, extrémistes, casseurs, etc.), a eu raison de cette révolte.


Mais cela a été la faute aussi d'inévitables divisions internes, pas forcément basées sur des oppositions politiques, mais plutôt sur des différences de comportement qui a fait que le soufflet a fini par retomber.


D'ailleurs, sur ce dernier point, je regrette que le cinéaste ne s'est pas plus étendu sur cet aspect des choses. D'autant plus que la séquence dans laquelle celui qui a été désigné comme "chef" ne se rend pas à une saisie de péages à sept heures du matin, alors que sa présence était prévue (ce qui occasionne beaucoup de colère de ceux et celles qui ont écourté leur sommeil !), est saisissante.


Il y a une autre chose qui est dommage.


Alors, je me doute pertinemment, quand on réalise ce type de documentaire, que l'on ne sait pas ce que l'on va être amené à filmer précisément. Que le cinéaste ne dirige pas des acteurs et des actrices, mais que ce sont plutôt ses "acteurs" et ses "actrices" qui le dirigent. Qu'en six mois, il y a des tas d'images à s'accumuler et que la tâche de choisir que garder et que supprimer est loin d'être simple. Que l'écriture se fait au montage. Mais je pense que Gras aurait dû quand même prévoir que des figures allaient se distinguer très vite et faire en sorte de les interroger au fur et à mesure que les semaines passent, pour qu'ils puissent partager leur ressenti du moment, pour mieux mettre en exergue une évolution d'un grand enthousiasme à une grande amertume.


Je dis cela parce que les interviews finales (sauf une sur les trois parce que dans celle-là, la personne qui s'exprime ne s'est pas distinguée auparavant, au contraire des deux autres, semblant débarquer de nulle part !) sont passionnantes, surtout celle d'une gilet jaune (je crois qu'elle s'appelle Nathalie !) émouvante, sincère, qui voudrait toujours y croire, mais qui est désabusée, épuisée physiquement et mentalement, avec les mêmes problèmes personnels qu'au début.


Reste, malgré ces quelques manques, que le tout mérite d'être vu aussi par sa volonté de témoigner de ce que c'étaient réellement les gilets jaunes, hors de l’œil rendu biaisé du fait des politiques et de la propag... euh des médias, par des longues scènes hallucinantes en plein cœur du chaos total qu'ont été les manifestations parisiennes et par cette fin avec le rond-point déserté, en disant bien plus long que tous les discours du monde.

Plume231
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le 25 mars 2022

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Plume231

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