Premier long-métrage de sa réalisatrice Laura Wandel, Un monde a pu se faire remarquer dans la sélection Un certain regard au festival de Cannes de l'année dernière. La qualité francophone de cette sélection qui nous avait proposé les excellentes surprises Bonne Mère de Hafsia Herzi ou Mes frères et moi de Yohan Manca s'imposait comme le motif d'une certaine attente pour ce drame belge. C'est donc en ce début d'année 2022 que ce film arrive dans malheureusement trop peu de salles et le public peut ainsi découvrir cette œuvre sombre à propos du harcèlement dans les écoles primaires. Un sujet important qui se fait rare au cinéma et que la cinéaste met admirablement en scène le long d'une courte durée qui permet d'aller droit à l'essentiel.


Ce qui marque le spectateur et ce dès les premières minutes de film, c'est le parti pris formel adopté par Laura Wandel. Cette dernière parvient à créer un monde qui semble déconnecté du nôtre à travers un aspect huis clos, on ne quitte jamais l'enceinte de l'école. Ce monde c'est celui de Nora, jeune fille terrifiée à l'idée d'aller à l'école (elle ne sourit jamais, elle baisse la tête constamment, elle a des cernes), enfermée dans sa condition de spectatrice du harcèlement de son grand frère. Cet isolement est d'autant plus grand que le film prend des airs de film carcéral, le dialogue entre Nora et son père qui sont séparés par le grillage de l'école évoque le parloir, idée appuyée par le fait que ce dialogue est soumis à une contrainte de temps. De plus, cette enfant est souvent sur-cadrée par la tête d'autres élèves, elle est emprisonnée à l'image pour traduire le fait que ce sont les autres qui l'isolent, « l'enfer c'est les autres ». Tout le film se déroule de son point de vue et aussi bien visuellement que de manière sonore, la question du point de vue est sublimement travaillée. L'intégralité des plans est filmée à hauteur d'enfant, le hors-champ est souvent de mise, on est au plus proche de ce personnage et l'attachement se fait très facilement. La forme est ici comme rarement au service du fond, nous comprenons facilement que Nora se retrouve seule face à ce monde hostile.


Le but du film est alors de dépeindre le harcèlement scolaire qui déshumanise et déstabilise tout le monde à cause du cercle de la violence. Cette déshumanisation passe tout d'abord par le bokeh qui floute les visages de presque l'entièreté des personnages puis par la multiplication d'actes violents injustifiés (« Pourquoi ils font ça ? -Je sais pas », dialogue entre Nora et son institutrice) ou de désolidarisation, même les amis finissent par se moquer. D'ailleurs ces amis sont au début tout à fait nets à l'image et finissent par être floutés. L'école constitue une instance de socialisation importante puisqu'elle fait entrer en jeu les pairs, qui sont d'importantes influences dans le développement de l'enfant, c'est ce qui explique notamment le cycle de la violence ou le fait que les personnages moqués se retrouvent seuls. Ils sont à un âge où ils ne comprennent pas encore le monde, ce qui facilite la création d'un nouveau, ils posent beaucoup de questions et ont du mal à voir la réalité en face. C'est totalement le cas de Nora qui fuit la réalité en se bandant les yeux et l'idée qu'elle ne peut ou ne veut pas voir la vérité en face est traduite à l'écran par l'absence de raccords regards et le nombre important de plans face caméra, rares sont les fois où nous est montré ce que les personnages voient. Même lorsqu'elle est filmée de dos lors de longs travellings rappelant Elephant, les longues focales nous empêchent de pleinement voir l'arrière-plan et donc ce que Nora voit. « C'est bien de vouloir aider mais c'est mieux si elle comprend par elle-même », ces mots prononcés par l'institutrice, Mme Agnès, pour un exercice de mathématiques compliqué pour Nora illustrent bien le problème : cette dernière a beau vouloir aider, elle ne peut comprendre la situation ce qui entraîne son incapacité à aider, elle est noyée par les circonstances comme le révèlent les plans sous l'eau lors des séquences à la piscine.


Le problème montré par le film est l'ignorance des adultes vis-à-vis de ce genre de situation. C'est d'autant plus grave dans une école primaire, qu'est-ce qui empêchera ces enfants violents de continuer leurs actes dans les niveaux supérieurs ? Selon le film et ce qu'on peut observer, pas les adultes qui ignorent ou qui ont du mal à traiter correctement le problème. Alors que le père cherche à éliminer le problème en s'adressant aux harceleurs, le personnel de l'école le rejette. Quand Nora au début alerte une institutrice, celle-ci ignore complètement ce qu'elle dit. En réunion entre les harceleurs, leurs parents, le directeur, Nora, son frère harcelé ainsi que leur père, le directeur prononce une phrase qui peut paraître innocente mais qui interpelle énormément : « Vous allez faire tous les quatre en sorte que ça se passe bien » sachant que les harceleurs sont trois, il inclut la victime dans sa phrase comme s'il pouvait agir alors que par définition la victime subit, il ne peut rien y faire...Il faut dire que les mensonges des enfants qui cachent les événements ne peuvent pas aider, c'est en partie parce qu'ils ne saisissent probablement pas la gravité de ce qu'il se passe ou à cause de l'incompréhension qui les pousse à garder le silence que leur esprit est confus et qu'ils ne savent pas comment réagir.


Elle est sur l'affiche, elle ouvre le film, la relation entre Nora et son frère Abel est centrale dans le film. Par conséquent le métrage aborde en plus du harcèlement la thématique de la fraternité. La relation s'avère touchante, elle est également touchée par les violences subies, c'est quelque chose qui ne laisse personne indemne. L'envie d'aider, la solidarité de Nora qui veut le meilleur pour son frère quelle que soit sa situation est touchante, le fait qu'elle se met à la détester pour s'intégrer met bien en lumière la question de la socialisation. Le film se termine comme il commence, quand la relation était à son meilleur et c'est beau, malgré toutes les épreuves traversées, cette embrassade finale montre que leur relation n'a rien perdu de sa solidité. Pour mettre en forme tout cela, nous avons le droit à une interprétation remarquable de Maya Vanderbeque et Günter Duret ainsi que des autres enfants pour lesquels c'est leur premier film ou un de leurs premiers, ils font preuve d'un naturel exemplaire. D'ailleurs c'est un plaisir de voir Karim Leklou, j'ignorais sa présence dans le film, après Le monde est à toi et BAC Nord il confirme son talent dans un registre plus sombre.


Pour conclure, en l'espace de seulement 1h13 la réalisatrice nous montre l'étendue de son talent. A l'aide d'une mise en scène réfléchie et originale, de dialogues subtils ou de personnages attachants superbement interprétés, Laura Wandel réussit parfaitement à transmettre son message. Le ton réaliste, appuyé par l'absence totale de musique même au générique, les couleurs ternes qui donnent une vision encore plus négative et tout le travail sur l'isolement renforcent la prise de conscience des soucis de harcèlement subi par des enfants qui eux ne comprennent pas ce qui leur arrive. Mon principal regret pour ce film est le manque d'une scène marquante, très poignante car au final on peut avoir l'impression qu'il ne se passe pas grand-chose et malgré toutes ses qualités, je ne suis pas sûr qu'il me marquera.

BestPanther
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le 12 févr. 2022

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