Deux acteurs, un plan, un dialogue. Voilà sur quoi Hong Sang-Soo fonde son Cinema. Le minimalisme qui parcourt ce film est d'une beauté inouïe. Très peu de bruit, très peu de monde : Nous voilà plongé trop tôt dans une ville fantôme, silencieuse. Perdu.


Un Jour Avec, Un Jour Sans (dans son titre Anglais Right Now, Wrong Then) raconte l'histoire de Cheon-Soo, un cinéaste venu présenter son film lors d'un festival. Il arrive néanmoins un jour trop tôt et déambule dans les temples de Suwon. C'est là qu'il fait la rencontre de Hee-Jeong. Comme le prétendait Alfred Hitchcock, une bonne histoire n'implique pas forcément un scénario extraordinaire et riche en rebondissements. "Un homme rencontre une femme" est un point de départ commun à un bon nombre de films.


Hong Sang-Soo fait écho à son Hill Of Freedom sortit l'année dernière : Encore une fois un personnage masculin arrive dans un endroit qu'il ne connait pas et cherche à être en accord avec cet espace (au travers des rencontres notamment), la différence étant qu'il cherche une femme au lieu d'en rencontrer une. Le personnage de Right Now, Wrong Then rencontre d'abord une femme avec qui il passe deux [plans-]séquences avant d'annoncer en voix Off que leur relation n'ira pas plus loin. Survint ensuite lors de ses déambulations et dans le hors-champ une femme qu'il va tenter de séduire. Lui, réalisateur venu présenter un film mais venu trop tôt ; elle, peintre qui se cherche semblant hors du monde. Ils forment au fur et à mesure des [plans-]séquences un couple étrange fondé sur l'ambiguïté de leur relation et possédant comme point commun une sorte de détachement vis-à vis du monde qui les entoure. On devine facilement le désir de séduction du réalisateur mais jamais le désir de la peintre. C'est en partie ce qui fera la furtivité de la relation. Mais “furtivité”est-ce le mot adéquat pour parler du cinéma de Hong Sang-Soo ?


Deux heures plus tard, nous nous retrouvons face à un film déroutant. Le Mulholland Drive réaliste de Hong Sang-Soo (toutes proportions gardées) ; non seulement pour les multiples clés de lecture du film (analyser ces deux films uniquement comme cela serait réducteur) mais également pour sa portée cinéma-réflexive. Lorsque la deuxième partie du film se termine, plusieurs interprétations s'offrent à nous : Cette deuxième rencontre fut-elle un rêve ? Ou bien fut-ce la première ? Seraient-ce les deux ?


La deuxième partie du film, faisant rejouer tous les enjeux de la rencontre, est-elle le film du réalisateur inspiré par sa rencontre furtive, maladroite et ratée, néanmoins fantasmée par celui-ci ? J'ai une très grande préférence pour cette interprétation puisque la deuxième rencontre est encore plus belle, déchirante et sincère que la première. Un des enjeux principaux dans le fait de rejouer la rencontre, outre l'idée que la deuxième soit le film du réalisateur, est le fait que Cheon-Soo plait aux amis de Hee-Jeong dans la première partie, mais déplaît à celle-ci. Or, dans la deuxième partie, après un strip-tease ivre et désespéré, le réalisateur très éméché plaira à Hee-Jeong mais déplaira aux amis de celle-ci. Faut-il plaire à la majorité et déplaire à une personne à qui on tient ou l'inverse ? Le réalisateur, comme toute personne sensée choisit la deuxième proposition. À préciser également que les scènes suivantes ont pour lever décor des affiches de deux films français : La Vie D'Adèle de Abdelatif Kéchiche, et Boy Meets Girl de Leos Carax ; le contraste entre le style des rencontres dans ces deux films et celui de Hong Sang-Soo est alors saisissant tant la passion prend une toute autre forme chez le réalisateur coréen. Un personnage qui rêve dans un film de Hong Sang-Soo finit toujours par se réveiller. Ici, Cheon-Soo ne se reveille pas.


Un personnage de Hong Sang-Soo éveillé boit pour donner l'illusion de résoudre ses problèmes ou pour les fuir, les oublier le temps d'une sortie au restaurant avec des amis. La précision du cadre en plus de ces thématiques ne sont pas sans nous rappeler Yasujiro Ozu, longtemps décrié au Japon pour faire, selon les critiques de l'époque "le même film" à chaque fois. Chez Hong Sang-Soo, comme chez Ozu, il est préférable de parler d'œuvre constante inachevée : Tous ses films n'en formeront, tôt ou tard, plus qu'un, une fresque des pensées, rêves, et fantasmes humains.


Aucune interprétation fixe ne doit demeurer, ne serait-ce que par respect envers cette oeuvre à la fois monumentale et minimaliste, profondément réaliste et ambiguë.

RoméoCalenda
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le 26 févr. 2016

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