Ecrivez. Et nous n’oublierons pas.

Ecrivez. Et nous ne serons pas oubliés.

Ecrivez. Parce que la mort n’est qu’un simple synonyme de l’oubli.

(extrait de Ton absence n'est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson, 2022)


Maintenant, remplacez « écrivez » par "filmez" et vous obtiendrez l’obsession de Mia Hansen-Love : abroger son angoisse grâce à l’inscription de la mémoire dans le marbre de la pellicule. Cette remarque est s'applique à l'ensemble de son oeuvre, véritable puzzle autobiographique, qu'à la dernière pièce de ce puzzle Un beau matin.


Sur le plateau, Léa Seydoux se fond dans les gestes de Mia Hansen Love sous le nom de Sandra, copiant sa coupe courte de l’époque, enfilant ses vêtements, revivant une partie de sa vie : la maladie de son père, philosophe sénile et traducteur d’allemand, séparé de sa mère tandis qu'au même moment, après sa séparation avec Assayas (l'histoire de Bergman Island), Sandra rencontre un nouvel amant.


Un beau matin s'ouvre sur une porte close. La maladie de Benson frappe à la porte. Impossible de trouver les clés. Impossible de les insérer dans la serrure. Impossible de trouver le sens dans lequel les tourner dans la serrure. Impossible de rentrer dans l’appartement. Impossible de rentrer dans le film. Pourtant, de l'autre côté de la porte, alors que la vue lâche, la voix attentionnée de Sandra guide.


Sandra entre et s'enferme dans la dépendance de son père, lui, l'amoureux des mots et des concepts (philosophe dans le film et dans la vraie vie), devenu aveugle dans l'ombre de sa bibliothèque, incapable de faire rouler son ciboulot dans l'ordre d'une pensée logique. "Mon père c’est ses livres" dira Sandra comme l'explicite si bien le proverbe africain : « En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »


Prise entre ces émotions relatives à une rupture et celles liées à une nouvelle aventure amoureuse, Sandra doit conjuguer entre un père qui perd sa chambre à l'EHPAD et un amant qui vient, dans la scène suivante, d'être mis à la porte. Les parentés sont nombreuses, la mémoire les relie. La mémoire de la Terre (Melvil Poupaud est cosmochimiste), celle de la grande Histoire (Léa Seydoux est traductrice aux commémorations du débarquement en Normandie) la mémoire intime d'une relation terminée qui s'illustre le jour du déménagement où Sandra dira à sa mère : « Tu ne te souviens de rien avec papa » et celle d'une relation en construction illustrée par un amant incapable de suivre sa raison : « je ne peux pas t’oublier ». Entre ces deux narrations qui compriment Sandra, engagée auprès de son père, engagée auprès de son amant, engagée auprès de sa fille : un destin exigü qu’illustre cette liberté réduite à un canapé d’appartement.


Pourtant, après un amant de Saint-Jean, après un instant de déchirement, une larme, la décision est prise. Nous nous en allons de l’EPHAD, préférant faire le deuil d’un père déjà absent. Enfin Paris ensoleillé, à trois, en haut du Sacré-Coeur pour l'unique plan d'horizon du film. Un dernier plan qui restera figé. Celui des sourires tournés vers l’avenir.


Un dernier mot pour dire la grâce de Pascal Greggory qui relègue au ridicule le The Father réalisé par Florian Zeller.


Filmez. Et nous n’oublierons pas.

Filmez. Et nous ne serons pas oubliés.

Filmez. Parce que la mort n’est qu’un simple synonyme de l’oubli.

thomaspouteau
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le 15 sept. 2022

Modifiée

le 15 sept. 2022

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