Un air de famille par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Henri Ménard tient un bistrot assez pitoyable dans un quartier qui ne l'est pas moins. L'homme est grincheux et aussi sinistre que son établissement. Denis, son garçon de café et "souffre douleur" passe son temps à supporter son patron sans broncher. Chaque semaine la famille se réunit dans ce triste lieu. Il y a Betty, la sœur d'Henri et femme de Denis, la * mère* qui ne rate pas un rendez vous et Yolande, la femme un peu soumise et nunuche de Philippe, le frangin de Henri, cadre dans une entreprise qui vient juste de passer à la télé et qui n'en est pas peu fier. Mais ce soir on fête l'anniversaire de Yolande dans une ambiance assez inhabituelle car Arlette, la femme d'Henri n'est pas au rendez-vous. Toute l'assemblée s'inquiète et s'impatiente. Que fait-elle ? Seul son triste mari le sait mais refuse d'avancer le moindre prétexte. La soirée s'annonce mouvementée d'autant que la mère des deux frères n'a pas la langue dans sa poche pour dénigrer le cafetier...


Effectivement, cet "air de famille" est plutôt pollué. Il y a un type mièvre, sans envergure et sans trop d'ambition tenant un café dans lequel se prélasse un vieux chien paralysé et triste qui pourrait compter les heures qui lui restent à vivre. Le quartier est sinistre et l'on peut entendre à longueur de temps les trains qui empruntent la voie ferrée toute proche. Le commis est morose, songeur et certainement philosophe. Il bouquine dans un coin lorsqu'il ne balaie pas. C'est vrai qu'il n'est pas aidé ce pauvre Henri que sa femme ne supporte plus, étouffée par la morosité ambiante et les coutumes ponctuelles d'une famille démantelée par une mère tellement fière de son autre fils, cadre portant costard et cravate et passant de plus à la télé pour une brève interview ventant les mérites de sa boîte. Il se sent fort porté au pinacle par sa maman et escorté d'une épouse soumise et potiche à souhait, aussi lasse de mener sa vie de couple que l'épouse d'Henri. Celui-ci est peut-être un sentimental malgré son apparence. L'autre est un "coq", imbu de sa personne et colérique lorsqu'un reproche est formulé par les siens sur son intervention télévisée.
Il n'en faut pas plus pour que ce dîner d'anniversaire de Yolande tourne au fiasco. Les cadeaux sont ridicules et ne correspondent pas à ses goûts. Pourtant elle gardera certainement un petit moment de bonheur dans cette triste soirée grâce à Denis qui, malgré son silence et sa timidité, observe et comprend les malheurs des uns et les défauts des autres. La vie est parfois malheureusement ainsi faite...


Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri furent les talentueux auteurs d'une pièce de théâtre du même nom qui connut l'estime du public et Cédric Klapisch fut bien inspiré de porter ce succès théâtral populaire à l'écran. Une adaptation peut parfois décevoir mais là, ce n'est vraiment pas le cas. On y retrouve un humour aussi noir, à la limite du sordide voire même du révoltant. On rit de cette vie vécue par certaines familles que l'on imagine unies et qui, par le biais d'un prétexte futile, se déchaînent, se lâchent et vident leurs cœurs des griefs trop longtemps contenus par des invectives blessantes.
Sans doute certains d'entre nous connaissent ce genre de situation en la subissant ou en la provoquant. Qui connaît une famille aussi unie qu'un groupe d'amis que l'on a choisi ? Ici se croisent en quelques personnages tous les bons et mauvais critères de la société. Néanmoins il en ressort une morale : le haut de l'échelle sociale n'est pas synonyme de rempart contre les désillusions. Les petits plaisirs sont souvent plus réceptifs chez ceux qui n'ont pas l'aisance dans la vie. Le seul plaisir d'une soirée ratée sera quelques minutes de danse au son d'un vieux jukebox pour une femme ignorée et ridiculisée par son mari alors que la jouissance d'un cadre passera en quelques instants du sentiments de satisfaction orgueilleuse au cauchemar.


Voici donc des personnages tous aussi différents les uns que les autres réunis par Cédric Klapisch. Pour la réussite de cette entreprise, il s'est entouré d'une bien belle équipe d'acteurs et d'actrices rompus à ce style de comédie acide. Nous retrouvons Henri, Jean-Pierre Bacri , l'éternel ronchon, brimé et étriqué mais en fait pas mauvais bougre et sur lequel s'abat toute la tristesse du monde. Philippe, son frère, interprété par Wladimir Yordanoff est au contraire imbu de sa personne et de sa situation de cadre qu'il affiche avec vanité et dont sa mère étouffante et injuste, Claire Maurier, se révèle être le moteur de cette injustice. L'excellente Catherine Frot, Yolande, suit bon gré mal gré son mari avec lequel elle passe une vie sans relief de femme soumise. Enfin Betty, l'épouse de Denis est jouée par Agnès Jaoui qui, dans cette ambiance plombée, a eu quelques problèmes avec son patron, ce qui n'ajoute rien de bon à ce climat déplorable. Au beau milieu de cette famille, étranger à celle-ci, on trouve ce fameux Denis, Jean-Pierre Daroussin, subissant les discussions et les réflexions de son patron. Il présente le rôle merveilleux de celui qui observe, comprend la situation, analyse cette famille en finissant par se faire entendre par la justesse de ses propos.


C'est du bel ouvrage que nous propose Cédric Klapisch qui nous offre des scènes d'un "humour vache" mais assez mémorables. Bien sûr, c'est une comédie pour le spectateur mais un drame pour les personnages de cette histoire. Cela contribue certainement à nous mettre parfois mal à l'aise car ce film n'épargne personne. Je le conseille à ceux qui ne l'ont pas vu et pour les autres un petit coup d'œil de temps à autre, histoire de passer un très bon moment de détente.

Grard-Rocher
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le 17 févr. 2017

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