Au poing puis au violon

Avis sur Un 22 juillet

Avatar Pequignon
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C'est du sur-mesure pour Paul Greengrass, qui aime relater des événements réalistes voire réels. Surtout qu'il y a une scène scrupuleusement alléchante de fusillade pour sa caméra au poing et son sens du montage frénétique mais toujours lisible, souvent imité depuis Jason Bourne, jamais sans égalé.

Ce talent pour l'action, on le retrouve dans cette longue introduction. Pendant un moment, on craint ou on espère, que les deux heures vingt-quatre que l'on a forcément vu sur notre barre de lecture Netflix seront entièrement dédiées à cette seule journée du 22 juillet, comme ce fut le cas de *Capitaine Phillips* et *Vol 93*, du même Paul. Bon, des norvégiens jouent en anglais en appuyant leur accent. Gênant mais ça passe. Les ados sont un peu niaiseux, bien élevés beaux, victimes parfaites. Mais ça passe. La séquence qu'on attend ne se fait pas attendre. Elle prend, elle attrape, notamment par sa gestion de l'espace qui donne un réel suspense simple, entre le "prédateur" qui cherche et tire froidement, et ses proies qui se cachent et tente de le voir. Magnifique maîtrise des points de vue, à rythme soutenu, sans grande pompe musicale ni ralenti empathique.

Le problème quand on est sur Netflix, c'est qu'internet n'est pas loin. Un coup d'œil sur une photo du vrai Anders Breivik et le charisme de notre acteur s'effondre d'un coup. Dix secondes de mou auront suffi à succomber à la tentation de faire pause google. Si vous aviez suivi en 2011 cette affaire, vous n'apprendrez rien de plus.

Le film semble garder le rythme un moment puis s'essouffle. Il va s'essouffler jusqu'à la fin. En cause, un très mauvais choix d'écriture: la rééducation d'une victime, lentement, pas à pas, qui se donne comme métaphore d'une société qui doit se relever, filée pendant plus d'une heure et demie par le recours tout sauf subtil au montage parallèle.

Trop soucieux de rendre hommage à l'horreur qu'a pu être un tel événement, les quarante-cinq dernières minutes du film sont un tire-larmes interminable, dans lequel on doit même se taper la description larmoyante de ce qu'on a déjà vu et que l'on sait déjà d'un personnage qui n'a déjà que trop exprimé ses sentiments. Cette nécessité de suivre une famille de victimes donne lieu à une avalanche de clichés sur la maladie et le traumatisme, sans rien y ajouter. Rien à dire sur les familles réellement en deuil (eh oui, on pleure sur les survivants), ni sur la politique.

La politique est la grande laissée pour compte. Alors que l'histoire nous raconte comment Breivik a voulu être reconnu sain d'esprit, donc coupable pour que l'on voit sa fusillade comme un événement politique, ici, il n'en sera pas question. Pourtant le premier ministre est là. Mais il n'est que compassion, culpabilité, un mec bien intouchable, aussi politique que mes pantoufles. Aurait-il été intéressant de voir un peu quelle politique il mène ? Sa popularité ? Non. Pourtant l'un des personnages principaux est une maire. Tout ce qu'on voit de son travail ce sont ses collègues lui demandant des nouvelles de son fils. Pourtant il y a un chef de fil d'un mouvement d'extrême droite ; il aura un moment un peu intéressant, 2 minutes pas plus. Alors que Breivik a ciblé les marxistes, les élites, et l'Islam, il semblerait que seules les élites méritent l'empathie. Il y a tout dans le film pour dresser une cartographie des différentes forces en présence dans ce procès qui, nécessairement, fait appel à nos idéologies. Une telle fusillade par un solitaire, ça ne pourrait pas faire un bon miroir de certaines fusillades devenues monnaies courantes dans un certain pays américain ?

Mais nous sommes dans la version Fox News du massacre. Larmes, victimes et violons-selles. Les épaules de ces "faits réels" ne sont écrasées que pour justifier tous les excès de pathos, les lourdeurs scénaristiques, le recours permanent au cliché, et l'absence de parti pris. Le film pense peut-être ainsi s'éviter toute critique en la rendant politiquement incorrecte ; mais c'est là qu'est l'indécence. Pourquoi relater un événement tragique ? Pour la mémoire ? Pas là, c'est récent. Parce qu'il est méconnu ? Pas là, les articles sont légions. Pour y apporter un point de vue ? Pas là, non.

Quand on apprend ensuite qu'un norvégien a fait un film nommé dans plusieurs festivals sur le même thème avec quasiment le même titre, on s'explique peut-être le recours en urgence au distributeur Netflix. En effet le film Utoya, 22 Juillet réalisé par Erik Poppe devait sortir le 14 novembre 2018. Maintenant Allociné indique un changement de date à prévoir. Bravo Paul ! L'herbe est verte !

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