Depuis plusieurs années en France, la tendance - derrière les grosses comédies bien grasses qui cannibalisent le box-office en agitant grossièrement les ficelles du racisme ordinaire devant les spectateurs les moins exigeants qui en sont friands - est aux thrillers « bas-budget » sur fond de cités et autres banlieues défavorisées ainsi qu'aux films d'action policiers avec Jean Reno, Alban Lenoir ou Nicolas Duvauchelle. Entre autres, nous avons eu « Anti Gang », « Balle Perdue », « Bronx » et « Banlieusards », dont le point en commun est d'être des films franchement moyens, sans réelle vision artistique, sans maîtrise technique ni une identité affirmée. Par conséquent, faute de qualités remarquables, il est difficile de ne pas oublier rapidement ces longs-métrages qui n'auront fait qu'effleurer, le temps d'un instant seulement, l'histoire du cinéma français.


En effet, et fort heureusement, nous avons tout de même eu le droit à quelques perles bien plus exceptionnelles. « Chouf » de Karim Dridi est un thriller d'action très sincère et efficace sur la vie et la mort des hommes dans le trafic de stupéfiant des cités marseillaises. « Shéhérazade » de Jean-Bernard Marlin est une sublime fresque humaine mêlant maîtrise technique et direction artistique grandement menée. Cependant, le film de Thierry Klifa s’inscrit dans la première catégorie, celle des œuvres qui sont au mieux correctes, au pire carrément médiocres. Il y a énormément de problèmes avec ce métrage, et malgré toute la volonté de la production et la distribution qui nous honore de la présence de deux grandes actrices, cela ne fonctionne pas.


En premier lieu, l'identité-même du métrage a déjà des difficultés à trouver sa place et à l'exprimer. Klifa semble comme avoir voulu s'inspirer des films noirs de Melville pour réaliser un thriller social opposant bourgeoisie française et populations défavorisées des cités de France, pourtant rien n'en ressort. Il est difficile de dire à quel genre de film appartient « Tout nous sépare » tant il n'exploite aucune thématique ni aucun univers concret. Il n'y a pas suffisamment de scènes d'action pour être un film d'action. Il n'y a pas suffisamment de tension pour être un thriller. Le thème de la famille n'est pas assez développé pour être un drame familial. Ce n'est pas un film de gangsters, ni un film sur l’amitié, ni un film policier. On ne sait pas ce que l'on regarde, et encore moins où le réalisateur aimerait nous emmener.


« Tout nous sépare » est ainsi. C'est une œuvre qui parle de tout et de rien. Qui s'en va dans tous les sens et nulle part à la fois. Tout y est évoqué, rien n'est développé. La volonté première du métrage était quand même de mettre en scène l'opposition entre deux univers, celui de la petite bourgeoisie de province et de la petite délinquance de quartier. Rien dans ce film n'est fait pour répondre à cette vision. À quel moment ces deux univers sont-ils réellement dépeints ? À quel moment nous les montre-t-on en pleine confrontation ? Jamais. Nous explique-t-on pourquoi et comment ces deux cultures s'entrechoquent ? Et quels en sont les tenants et aboutissants ? Non.
En tant que spectateur, tout ce que l'on peut apercevoir du côté de la bourgeoise c'est la grande porte d'entrée d'une grande maison paumée en pleine campagne, le hall, les escaliers et la chambre de Diane Kruger ; et du côté opposé, quelques bâtiments de cité, une poignée de frérots de quartier tenant les murs et tuant le temps en emmerdant les passants, ainsi que le fauteuil, perché sur le toit de l'immeuble, dans lequel Nekfeu Ben Torrés vient fumer son bédo et où il expliquera à Catherine Deneuve en quoi consiste la profession non reconnue par l'administration fiscale de « chouf ».


« Tout nous sépare » ne tient aucune de ses promesses. Je pense que le plus gros souci réside dans l'écriture qui est tout simplement lacunaire. On sent que Thierry Klifa vient du journalisme et pas de la littérature parce-que son scénario ne raconte aucune histoire, il ne fait que montrer des images les unes après les autres. Les personnages, eux aussi, n'ont pas eu le droit au moindre développement. Leur psychologie est à peine effleurée, on ne sait rien d'eux, de leurs sentiments, de leurs pensées, de leurs passions ou leurs peurs. On ne sait rien hormis deux ou trois clichés éculés : le jeune de banlieue impoli au vocabulaire limité, la veuve forte et détachée, la fille junkie dont les actions n'ont pas le moindre sens...


En termes de fond, le film est famélique, il n'a rien à proposer. Il n'y a aucune profondeur, quelle soit thématique, émotionnelle ou cognitive. Tout n'est qu'un pâle reflet vaporeux d'une réalité lointaine. Rien à se mettre sous la dent. Du côté de la forme, c'est péniblement banal. Ce n'est pas vilain ou maladroit mais tout bonnement quelconque et grossier. Il n'y a aucun choix de direction artistique, c'est filmé avec la platitude d'un mauvais documentaire mais sans le contenu thématique. Tout ce que l'on peut dire, c'est que la réalisation fait tout de suite penser à un style « à la française » - permettez-moi l'expression - : sobre, sans fioriture, sans filtre... on ira pas jusqu'à dire naturaliste, bien entendu. Mais sonner comme un « film français » n'est pas suffisant, ce n'est en rien un argument pour vendre un long-métrage, de surcroît quand il s'agit d'un film français.


Il n'y a vraiment pas grand chose à garder. Même le jeu des acteurs est assez moyen. Par moment, Deneuve semble comme perdue, comme si elle se demandait ce qu'elle était en train de faire ici. Kruger fait du mieux qu'elle peut mais son personnage est si mal écrit et si peu construit que le résultat ne peut en être autrement. Le personnage ne sert que de liant entre les deux sphères socio-culturelles qui, soi-disant, s'affrontent et que, soi-disant, tout sépare. Nekfeu n'est pas mauvais, c'est plutôt une bonne surprise pour un amateur. On reprochera peut-être la maladresse de l'avoir mis dans ce rôle de petit caïd galérien de cité qui dénote un peu avec le personnage puisque, sans à aucun moment remettre en question la qualité de sa formidable plume, le fennec se voit souvent attribuer l'étiquette du rappeur qui va s'excuser à la télévision après chaque album d'avoir dit des gros mots. Finalement, même si le jeu d'acteur est correct, à quoi cela mène-t-il si tout le reste se casse la gueule et ne peut pas suivre ? « Tout nous sépare » est un film très moyen qui n'a rien à offrir et se fera très vite oublier. Et la seule séparation que j'ai observée s'est opérée entre mon esprit désintéressé et ce métrage miséreux.

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le 15 nov. 2020

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