Dès les premiers plans du film - l'article de journal présentant le taux de suicide en hausse des jeunes homosexuels et le personnage d'Andy, d'ores et déjà à moitié en dehors du cadre, et affirmant qu'il est "totally fucked up" -, la ligne directrice du film est distinctement annoncée: l'efficacité et la précision de la construction des plans diffusent un nihilisme marqué et propre au réalisateur.

Effectivement, celui-ci entreprend une approche "documentariste" de l'environnement des jeunes homosexuels américains. Il utilise des plans invariablement fixes, montés brutalement les un aux autres, tel des blocs, et de courtes séquences tournées en vidéo qui, par la capacité des premiers à filmer une scène dans son intégralité sans bouger - mis à part quelques rares exceptions - et la brutalité des seconds à nous imposer les désarrois d'un des personnages avec authenticité, enferment les protagonistes dans des bribes de temps et d'espaces stagnants, mettant en exergue l'incapacité de ses jeunes à se sentir à l'aise où qu'ils soient.
Néanmoins, personne n'est concrètement responsable de cet état ou montré du doigt pour cette raison; malgré un t-shirt "I BLAME SOCIETY" ou un cynisme certain lorsque l'on réalise que le petit groupe d'amis lisant un article homophobe sont installés juste à côté d'une pompe à pétrole et quelques interprétations fumeuses au sujet d'un probable manigance politique au sujet du SIDA, le film ne se veut pas dénonciateur de la condition marginale des homosexuels. Au contraire, ses éléments éparpillés tendent plutôt à accentuer l'égarement des adolescents gays dans un contexte aux instigateurs invisibles dont les valeurs ne leur conviennent définitivement pas et qui tentent tant bien que mal de se recréer un microcosme.

Pourtant, quoi qu'il se passe, les corps sont tranchés par le cadre, renversés dans le celui-ci, comme s'il était impossible pour cette bulle qu'ils tentent désespérément de se formater de demeurer ainsi, stable, bien qu'ils y stagnent, immobiles. Ils sont indéniablement avalés par le hors-champ, le monde hétéronormé, le monde des adultes.
Et quand l'un d'eux est coupé, sans secours, de leur univers, l'allégorique apocalypse de Gregg Araki vient finalement faire son office et rappeler que l'adolescence n'est qu'une futile illusion qui dissimule la complète vacuité de l'âge adulte et de l'existence dans leur intégralié.
JulienGris
6
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le 6 nov. 2011

Modifiée

le 25 juil. 2012

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JulienGris

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