Que Top Gun: Maverick soit en France (et presque dans le monde entier) le meilleur démarrage de 2022, devant les sempiternels Marvel, relève d'autant plus de la surprise annuelle que son existence même laissait douter. En effet, malgré les ambitions lucratives évidentes, on pouvait questionner l'intérêt d'une telle suite devant le sommet de ringardise du premier film, marqué par son empreinte des eighties et la mise en scène sur-découpée de Tony Scott. Pourtant, Joseph Kosinski, déjà adepte des reboots surprenants avec le mal-aimé et néanmoins bien aimable Tron – L'Héritage en 2010, marque bien un but avec ce qui apparaît comme le blockbuster le plus rafraîchissant de l'année – et pourtant suite d'une vieillerie.


En effet, à priori, ce Top Gun: Maverick, ou «Top Gun 2» comme on pourrait simplement l'appeler, s'inscrit dans le carcan hollywoodien du XXIe siècle. D'abord en tant que simple film d'action formaté, qui reprend toute la structure narrative qu'un apprenti scénariste apprendrait en formation: entre schéma campbellien, love interest convenu sous la houlette de Jennifer Connely, conflit paternel et rédemption finale gorgée de bonnes intentions, Top Gun: Maverick peine à surprendre durant ses longues deux heures.

Inscrit dans ce carcan également car, au-delà du formatage hollywoodien habituel, le film suit de même la recette du genre, pas si restreint après deux décennies de ses rejetons, de la suite et particulièrement de la suite tardive nostalgique. Dès lors, il s'agit évidemment avant-tout d'attirer dans les salles obscures tous les fans du premier, tous les quarantenaires qui ont vibré avec le Tom Cruise des années 80, et de leur promettre une redite volontairement déjà décidée, déjà actée, de but en blanc, du premier film. Ainsi, le film n'évite là aussi aucune tare, aucun écueil, aucune redondance, propres à ces élans nostalgiques, mêlant allégrement ces nouvelles images aux anciennes.


Cependant, cette amour obsessionnel du passé est tout de même ce qui propulse le film en, si ce n'est chef-d’œuvre, petite curiosité, bulle temporelle qui nous transporte le temps d'une séance aux années 80 et leur forme de blockbuster aujourd'hui incongrue. Qui pensait voir en 2022 Tom Cruise voler dans les airs avec une classe aussi commercialisée qu'évidente au rythme de The Who et leur titre Won't Get Fooled Again ? Le summum est atteint lors d'une partie de beach volley/football américain, alors que la photographie en contre-jour fixe sur pellicule les corps musclés, ensoleillés et huileux des joueurs.

Davantage que de la simple nostalgie, l'intérêt surprenant du film est alors de foncer ponctuellement dans sa cible, de ne pas se restreindre en matière de voyage temporel: là où Disney n'assume et n'assumera jamais sa panne d'inspiration et tentera toujours de customiser ses produits au goût du jour, Kosinksi accepte ici totalement l'héritage de la licence qu'il perpétue et de son esthétique, certes parfois au détriment du bon goût, mais toujours avec une éminente sincérité.


Mais, si Top Gun: Maverick est un tel succès, c'est qu'il ne faut bien évidemment pas oublier malgré tout sa mise en scène, moteur du long-métrage à l'extrême, le scénario étant une évidence de médiocrité. Le film l'assume presque en retirant de son récit une quelconque obscure motivation géopolitique attendue, s'opposant ainsi au regeanisme du premier. Ainsi, Top Gun est un pur exercice de style, et Kosinski en est conscient: dans des séquences parfaitement maîtrisées, les rugissements des moteurs et les prises de vues virevoltantes sont réunis pour un ballet aérien des plus impressionnants, divertissement total.

Si certains y verront paradoxalement le parc d'attraction ultime dont parle Martin Scorsese, ce serait omettre ce que le film a réellement de plus noble cinématographiquement. Car le cinéma, apparu aux côtés des premiers chemins de fer, est bien d'abord une mécanique, recréation artificielle du mouvement. Rien d'étonnant alors que Kosinski se concentre ici avant-tout sur les avions, engins, machineries qui crèvent l'écran et s'imposent au milieu des aviateurs.


Enfin, aux côtés des avions, comparé même à ces bêtes féroces, Tom Cruise est bien le paradigme central du film: acteur, metteur en scène de lui-même et dernière star du vieil Hollywood, c'est bien lui qui dirige le film, à la fois comme éloge de sa personne évidemment, mais également avec une certaine introspection rarement vue chez le comédien. Entre deux pirouettes, l'acteur interroge sa place dans le système de divertissement moderne, alors que la figure du cascadeur disparaît progressivement pour laisser place à l'aseptisation du fond vert. Tom Cruise en Buster Keaton des temps modernes, c'est donc dans ce cadre là que brille réellement Top Gun: Maverick: conscients de leur obsolescence, mais prêts à refaire le même spectacle une fois de plus, encore, et encore, l'acteur et ainsi le film gardent une foi incorruptible dans le divertissement pur, majestueux, dans le cinéma comme art populaire du mouvement.


One more time.

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le 4 juin 2022

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