" Vivement que tu saches jouer au poker "

Tomboy c'est d'abord l'histoire d'un déménagement. Une petite gamine est au volant de la voiture de son papa, elle conduit à sa place, parce qu'ils déménagent et que la mère est enceinte et n'assiste donc pas à la scène. Cette dernière attend à la maison avec l'adorable petite sœur de la gamine au volant. Gamine ai-je dis ? Au départ, on ne sait pas vraiment en fait. Son père n'aura jamais pour sa fille des mots clairs la désignant comme une fille... "Vivement que tu saches jouer au poker" lui lance-t-il pendant une partie de 7 familles un peu chiante.

Alors, la douce Laure profite du déménagement, de l'enfance et de l'été surtout pour changer un peu son histoire, comme le font souvent les enfants d'ailleurs, mais là elle change carrément de sexe, se travestissant en Mickaël. Ce qui ne semble pas beaucoup déranger la belle Lisa, qui dès le début flaire quelque chose '"t'es pas comme les autres" lui dit-elle avec une désinvolture pleine de sincérité et de tendresse.

Pourtant, ressembler aux autres garçons c'est bien ce qu'essaie de faire Laure : imitant le torse nu et l'élégant crachat de ces jeunes messieurs, elle redouble d'imagination pour faire illusion à la piscine.

Voilà le portrait dressé pour le deuxième film de Céline Sciamma après "Naissance des pieuvres". Le deuxième long métrage de la réalisatrice est beaucoup moins lent, beaucoup plus joyeux (dans les jeux d'enfants et la relation à la petite sœur notamment) que le premier, fascinant et lancinant. Ici, Céline Sciamma tente de rappeler Laure à la réalité que ses jeux avec ses tous nouveaux camarades lui ont fait oublier. Parce que oui, ici la famille est présente, là où toute trace des parents était absente dans "Naissance des pieuvres" laissant planer une odeur de rêve onirique teinté d'irréel, "Tomboy" se voudrait plus réaliste.

Mais la famille est bien dépassée. La mère parce qu'elle est enceinte et un peu naïve, elle trouve sa fille bien belle avec du maquillage (ironie du sort, sa copine Lisa croit avoir transformé Mickaël en fille alors que c'est tout le contraire que Laure a déjà fait. Preuve qu'il est facile dans ce monde d'enfant de passer de l'un à l'autre). Et le père absent qui se comporte avec sa fille comme avec un vrai mec.

Bref, la petite Laure, adorable et mature Zoé Héran, s'amuse bien. Elle réussit même à récolter un beau baiser de la jeune Lisa, les deux s'éclatent et s'adorent (magnifique scène de danse, à cet instant Laure a comme l'impression que tout pourrait toujours rester comme ça).

Dans sa petite transformation innocente, encore asexuée (puisqu'elle n'a pas de désir et qu'à 10 ans, on est pas clairement homosexuelle, merci bien, c'est la tout l'intérêt du film laisser le doute sur la vérité, et désagraver la situation la rendant attachante et contemplative), Laure entraine son adorable et craquante petite sœur, véritable fille, petite princesse aux cheveux bouclés qui "adore son frère qui le défend toujours" confie-t-elle à sa toute nouvelle copine. La petite s'en amuse, on comprend alors que rien n'est grave. Mais si, finalement, parce que Laure est rattrapée par le monde des adultes, ce monde un peu stéréotypé qui veut mettre tout le monde dans des cases. Laure est une fille, il faut qu'elle l'avoue.
Lisa n'est pas sur de s'en remettre (quoi que...) et puis les enfants sont cruels (Laure est soumise au test véridique, pas le choix).

Le film ne s'embarque pas dans le drame hystérique. Les parents sont un peu perdus mais ils ne reprochent rien à leur fille. C'est la rentrée prochaine qui les obligent à faire faire son "coming out" version retour à "je suis une fille" pour Laure.

L'été s'en va peu à peu et Laure a un nouveau petit frère, un vrai cette fois. Mais déjà la petite fille est loin. Et dans la cours, déjà, elle fait une presque nouvelle rencontre et reprend son vrai rôle, celui que la société attend d'elle. Mais finalement que Laure soit ou non une fille, tout semble pareille tant qu'elle a dix ans et que la légèreté de l'enfance permet le pardon facile.

Le film bénéficie d'un travail intéressant, entièrement tourné en numérique, souvent caméra à l'épaule dans la magnifique clarté de l'été, l'esthétique est maitrisée (tout comme dans "Naissance des pieuvres" et son ambiance limite huis clos). Les enfants et les adultes jouent leur rôle à la perfection surtout les deux sœurs et la petite Lisa.

Le monde des adultes ne semble alors qu'une intrusion fracassante dans cette bulle douce et libre de l'enfance à l'adolescente que nous livre films après films la caméra "polysexuelle" de Céline Sciamma. Et c'est merveilleux que ce petit chef d'oeuvre de 2011.

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le 11 mars 2012

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eloch

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