Le statut de film culte est toujours à double tranchant : en plus accroître les attentes d’un spectateur bien plus menacé de déception, il donne une aura universelle à une œuvre qui fut surtout marquante dans une époque donnée. Les œuvres séminales, incomprises en leur temps, et auxquelles la postérité fait justice par l’héritage des suiveurs ou la considération a posteriori du statut de pionnier s’exposent tout de même bien plus que d’autres au vieillissement.
Elles n’en gardent pas moins cette saveur qu’ont les jalons dans l’histoire de leur genre, et permettent de mesurer les paliers nécessaires à sa maturation.


Le premier film de Georges Lucas s’inscrit clairement dans cette catégorie : alors que la SF est cantonnée dans une sphère bas de gamme (à l’exception, 3 ans auparavant du coup d’éclat intersidéral de 2001, auquel la blancheur de ce film doit beaucoup), la dystopie qu’il présente dénote et étonne. Profondément contestataire et en lien étroit avec le présent qui l’a vu naître, comme toute société futuriste qui se respecte, le monde qu’il dépeint est sombre, aliénant, présentant les citoyens dévorés par les drogues et réduits à l’état de machines.


On est bien loin de l’atmosphère de contes de fées que sera la saga Star Wars à venir 6 ans plus tard. D’autant que le film ne se contente pas d’une noirceur idéologique : il la fait fusionner à un traitement assez radical de la mise en scène, où la mécanique prend le dessus et phagocyte l’esthétique générale : par les cliquetis métalliques, l’omniprésence de moniteurs cathodiques, le regard clinique et presque documentaire, THX1138 ne ménage pas ses effets pour prendre le spectateur à la gorge. La société semble se résumer à une vaste clinique où l’on maintiendrait sous sédatifs des patients qui n’ont même plus conscience qu’on les traite. En découle certains décrochages, comme cette latence étrange dans l’hôpital qui vire presque au théâtre de l’absurde, très proche dans ses préoccupations sur la peinture d’un monde dénué de sens qui s’assumerait par l’aseptisation généralisée.


Autant d’images qui frappent et iconisent un film qui joue de ce code couleur (le blanc, les néons, la fausse assurance d’une sécurité cachant une collusion totalitaire entre religion, état et dictateur technologique) pour marquer les esprits et une certaine vision du futur candidate à la postérité.
Il n’en reste pas moins qu’au-delà de son ambitieux programme esthétique, l’écriture patine quelque peu, par la redondance de certaines démonstrations et la linéarité d’une intrigue sans grande surprise.


C’est aussi à cela qu’on peut reconnaître un film culte : on préfère, parfois, garder en mémoire des images fortes que de se replonger dans la durée intégrale du récit qui les a générées.

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le 9 sept. 2019

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Sergent_Pepper

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