Le film est tout entier tourné vers cet instant hors du temps. Où un homme, comme marchant sur les nuages, accomplit l'impossible. L'inimaginable. C'était en août 1974. L'époque où les rêves les plus fous, les plus merveilleux, étaient encore possibles. Comme ceux de faire sortir de terre deux buildings vertigineux qui tutoient le ciel.


Ce rêve incroyable, celui d'un français, est filmé comme un casse. C'est d'abord l'enfance de l'art dans un Paris désuet de carte postale et de chromos mordorés, avec le croissant sur la table de la terrasse du café, les places pavées et le ballon de rouge à la main. Puis des rencontres entre artistes. Puis du but ultime, comme un Graal. Ce seront ensuite les préparatifs mille fois envisagés, imaginés. Et enfin, le recrutement des complices pour édifier la pyramide qui permettra à l'artiste de frôler les cieux.


L'entreprise est d'autant plus folle qu'elle est belle et artistique. Car tout acte de création recèle une miette d'art. Pas d'arrière pensée. Juste être le premier à accomplir la chose. Parce que personne n'avait envisagé de draper ces monstres de fer d'une âme, d'une raison d'être là. Elles seront pour le personnage principal les arbres les plus hauts du monde. Une scène perchée tout là-haut, là où une paire de jumelles est nécessaire pour profiter du spectacle.


Cette traversée sur un fil tendu, Robert Zemeckis en fait un instant suspendu, comme Philippe Petit, dans des mouvements de caméra vertigineux qui font prendre à la 3D tout son sens. Forte en tension même si l'on connaît forcément la fin de l'histoire. Et si les forces de l'ordre voient sa performance d'un mauvais oeil et l'attendent à la sortie de sa représentation, le funambule fait durer le moment, comme le guitariste laisse partir sa guitare dans une improvisation qui semble ne pas avoir de fin. Autant pour prolonger le plaisir que pour apporter à son art une saveur anar, comme dans sa jeunesse où il échappait aux gendarmes à Paris après ce que l'on appelait pas encore des "happening".


Si le personnage avait la volonté de réaliser son rêve, c'est aussi à cause du lieu de l'événement : ces deux tours qui sont érigées comme pour défier des dieux qui ne sont plus là depuis longtemps, ce fer et ce béton sans limites qui pointent vers le ciel. A la fois affirmation de la puissance occidentale, mosquée capitaliste, étalage insolent du génie humain. Ces deux tours sont aujourd'hui le symbôle d'un monde qui n'est plus qu'un souvenir. Celui de l'insouciance et des rêves que l'on exprimait dans un sourire narquois ou détaché, parce que l'on savait, finalement, que tout était possible en ces temps là. Surtout le meilleur.


Seul Philippe Petit a pu profiter de ce qui semble être devenu son sanctuaire, l'endroit où le rêve a pris vie dans une réalité qui n'avait pas peur du lendemain. Sur son passe pour le sommet des tours, il était écrit à la main qu'il serait valable à vie. Alors que le dernier plan de Twin Towers pour un instant ressuscitées est baigné d'une lumière presqu'aveuglante, celui qui lui a donné son précieux sésame ne se doutait pas que leur "vie" allait prendre fin bien plus rapidement que prévu. Et avec elle, dans la cendre et les larmes, un monde désenchanté, apeuré et inquiet est né. Loin de cet été 1974 où une incrédulité teintée de merveilleux avait inondé les yeux des témoins de cette performance incroyable et à jamais unique.


Behind_the_Mask, pris subitement de vertige.

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le 2 nov. 2015

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