Ça faisait un moment que l’on n’avait pas eu de nouvelles de Marjane Satrapi, réalisatrice récompensée à Cannes et nommée aux Oscars pour l’adaptation de sa BD « Persepolis ». Il y a eu depuis le décevant « Poulet aux Prunes », et le mauvais « Bande des Jotas » passés inaperçu. La réalisatrice revient donc cette année en anglais, dans un genre dans lequel personne ne l’attendait, la comédie noire horrifique. Elle y raconte l’histoire de Jerry, sociopathe équilibré dans son petit monde, que l’attirance soudaine pour Fiona vient bouleverser.

C’est donc Marjane Satrapi qui a été choisi pour réaliser le scénario de Michael R. Perry (« Dead Zone », « Paranormal Activity 2 »), un moment convoité par Mark Romarek et Ben Stiller, et figurant dans la célèbre « black list » d’Hollywood. Elle met en scène Jerry, employé d’une usine de fabrication de baignoires de la tranquille ville de Milton. Il vit seul et voit régulièrement une psy car Jerry semble avoir quelques problèmes, comme de parler avec les animaux. Mais pas comme certains d’entre nous, mais plutôt des réelles conversations avec son rouquin de matou, l’irrévérencieux Mr Moustache, au regard piquant et à l’accent écossais, et son chien Bosco, un peu plus simplet que son compère félin. Son quotidien ordinaire va être mis à mal lorsqu’il va tomber sous le charme de Fiona, la comptable de la société.
Acteur que l’on a bien du mal à retrouver dans un bon film, Ryan Reynolds est la véritable surprise du film. Il y déploie une aisance de jeu et campe à merveille ce sociopathe au visage et sourire angélique, touchant de naïveté, mais dont le regard lourd et vide présagent le pire. Le personnage fonctionne car Satrapi arrive à nous faire éprouver de l’empathie pour ce dernier en n’en faisant pas un pervers sexuel. Au contraire elle préfère sur-sexualiser la gente féminine qui va amener Jerry au meurtre. Trois fois. Actes commis suite aux mauvais conseils des fameuses « voices » du titre que sa schizophrénie lui fait entendre et qu’il projette sur son chat et son chien.

Le monde de Jerry est beau et paisible, mais dès lors qu’il ingurgite son traitement, alors le monde lui apparaît tel qu’il est vraiment, froid et menaçant. Le spectateur voit les choses à travers le regard du personnage et son esprit est représenté par son habitation, petit appartement situé au dessus d’un bowling qu’il perçoit comme un nid cosy et ordonné, à la décoration années 70. Mais dès lors qu’il prend ses médicaments il y voit le désordre et la saleté du lieu. La mise en scène épousant le point de vue de Jerry, il est clairement dommage que la caméra ne s’aventure par à lorsque ce dernier prend ses cachets.

Le film se présente sous la forme d’une fable horrifique avec de vrais moments sanguinolents, face auxquels Marjane Satrapi garde une certaine pudeur. Mais l’ensemble reste une comédie à l’humour noir dans laquelle la réalisatrice contrebalance le sordide des situations grâce à l’univers pop et désuet dans lequel elles sont accomplies. Le travail de décoration est remarquable et chaque élément prend sens dans le plan. L’humour provient de la surprise principale sur laquelle le film est construit, à savoir les savoureux dialogues entre le personnage et ses animaux domestiques. Mais le sourire provient aussi des situations comme lorsque Jerry range soigneusement le corps qu’il a auparavant découpé, dans des petites boites hermétiques, en prenant bien le soin d’intervertir une boite bleue, puis une boite jaune. Car Monsieur travaille dans l’emballage après tout !

L’ensemble n’emballe réellement que dans sa première partie, et est victime de la disparition de l’effet de surprise. La réalisatrice peine à amener son histoire jusqu’au bout et ne parvient pas à insuffler une réelle touche personnelle au film. Elle a recours à certaines facilités d’écriture et de mise en scène. On pardonne les rôles féminins peu écrits de Gemma Arterton et d’Anna Kendrick, mais d’autres n’existent que pour faire avancer l’action, comme les deux collègues de travail que l’on voit à trois reprises uniquement et qui permettent de finaliser le récit.

Les personnages de Bosco et Monsieur Moustache ne sont pas assez développés alors que leur potentiel était immense. Le film souffre des problèmes inhérents aux mauvais thrillers avec tueur en série comme le traumatisme enfantin du personnage, clairement dispensable au récit et qui plombe la narration. Par ailleurs, ce mélange des genres n’évolue jamais et fonctionne mal dans la durée, cassant le rythme, déroulant mollement le reste de la mince intrigue que l’on subie sans grand enthousiasme. Le tout donnant l’impression de « pas assez ». Le film ne sait pas où se situer et du coup, se balade entre les genres s’en jamais endosser les codes d’aucun d’entre eux. Sensation frustrante d’être passé à côté d’un film qui promettait bien plus que ce qu’il nous offre.

Le film aurait mérité une meilleure écriture, et plus d’ampleur dans certaines scènes d’horreur afin de créer une plus profonde dichotomie entre les registres parcourant le long-métrage. La meilleure idée du film, Ryan Reynolds dans le rôle de Jerry et la beauté formelle de l’ensemble ne suffisent pas à transcender une comédie dont le récit à bien du mal à surprendre. Ou peut-être bien que non, Ryan Reynolds n’était pas une si bonne idée au final, et qu’il aurait fallu quelqu’un capable de faire émaner plus de folie et d’émotions.
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le 11 mars 2015

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