Critique originellement publiée sur Filmosphere.com le 06/10/2015.


Dans la galaxie de mauvaises idées qui illuminent le paysage du cinéma de genre américain contemporain, le nouveau film de M. Night Shyamalan est susceptible de conférer au réalisateur d’Incassable le titre de pire dégringolade artistique de l’histoire du cinéma, quelque part aux côtés des Dario Argento et consorts. Projet certes personnel, il témoigne toutefois de l’échec de l’auteur à chercher, depuis maintenant des années, une réinvention de son cinéma, ici par le found-footage et la ré-écriture de la grammaire cinématographique. En résulte un certain moment de gêne, cliché, presque parodique, surtout désolant.


On se retrouve souvent, au cinéma ou ailleurs, avec ce fameux concept – relativement contemporain ? – de la « fausse bonne idée ». Et là est tout le cœur du problème de The Visit. En surfant sur la vague avariée du found-footage, l’intention de Shyamalan de s’approprier le procédé peut séduire, d’autant plus que le film lui-même, et notamment un de ses protagonistes, questionne ce qu’est la mise en scène. On pourrait sans doute s’amuser à disséquer son film à travers un ton méta, ce qui honnêtement n’est pas impossible et est même la piste la plus intéressante du métrage, mais Shyamalan lui-même ne semble pas nous en laisser le temps. Bien décidé à inscrire son film dans l’horreur, et par-là entendons le genre horrifique moderne avec le lot de stéréotypes plus ou moins éculés qu’il comprend, il semble saboter lui-même un potentiel presque séduisant. Jump-scares, vieille aux cheveux blancs qui rampe en marmonnant, scatophilie et « endroits où il ne faut pas aller », tout y est. Comme chez Claude Zidi, c’est la totale.


Pourtant, Shyamalan a compris que le cinéma d’horreur repose sur des enjeux concrets, sur un vrai drame, comme jadis nous l’enseignait William Friedkin dans L’Exorciste. Mais à contrario du Sixième Sens, et plus semblable à Mister Babadook, The Visit échoue significativement dans la création de ses enjeux, par la superficialité de ses personnages, redevenus de vulgaires mécanismes pour cet énième tour de train fantôme. Parce qu’il n’ose pas grand-chose (et faire du dégoûtant ne revient pas nécessairement à oser) et parce que le facteur humain, émotionnel, est trop rapidement mis à l’écart, on en arrive à s’ennuyer ferme devant un tel automatisme. Pire : le ton du film est incertain, tantôt grave, tantôt dans un excès que n’aurait pas renié Sam Raimi. Cette mécanique rouillée du récit est portée jusqu’à reprendre le twist désormais classique de l’acte final, devenu la marque d’auteur de Shyamalan. Le film en avait-il réellement besoin ? En exposant de la sorte son scénario à de multiples incohérences ou facilités, il semble plus tourner en rond qu’autre chose au lieu de profiter de l’occasion pour se réinventer.


Cependant, c’est peut-être aussi à nous d’arrêter de tourner autour du pot : en dépit de tous ces problèmes, l’écueil principal demeure avant tout l’aspect formel du film. Mais c’est également son concept-même, donc dans quelle mesure le critiquer a-t-il réellement un sens ? Ceci dit, le procédé jadis popularisé par The Blairwitch Project a peiné à proposer jusqu’alors du cinéma, aujourd’hui vulgarisé par toute une vague de ce qu’on pourrait qualifier de « blockbusters horrifiques de série B ». Et The Visit, c’est aussi exactement cela. C’est-à-dire que l’on se retrouve face à un film infiniment laid, projeté sur une toile de quinze mètres de base, et qui ne semble pas faire l’effort, à part quelques menues nuances, de proposer quelque chose de plus. Au spectateur (amateur ou non du genre) de faire désormais la part des choses face à cette laideur imposée qui est soi-disant justifiée. D’autres pourront sûrement arguer que The Visit est à ce sujet-là largement plus abouti que la moyenne, auquel cas nous leur donnerions raison… Mais faut-il également voir la moyenne en question.


Cela n’a pas de sens, mais The Visit aurait pu être un bon film s’il n’était pas ce qu’il était. Car M. Night Shyamalan demeure un cinéaste que l’on a envie d’aimer, dispersant toujours çà et là une poignée d’éléments vraiment réussis qui trahissent le potentiel grand cinéaste qu’il a jadis été. Mais si, même dans ses œuvres les plus ratées, on pouvait s’en tenir à sauver ne serait-ce qu’un élément (la musique de James Newton Howard dans Le Dernier Maître de l’air ; le concept de Terre redevenue hostile dans After Earth), ici il faut endurer le film de bout en bout, où même sa thématique de cœur (la cellule familiale – d’ailleurs héritage spielbergien), certes présente, n’est finalement pas bien intéressante. Reste donc à être témoin de cette filmographie qualitativement dégressive, qui au moins, aujourd’hui, a l’atout de ne plus pouvoir décevoir davantage.

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le 25 juin 2016

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Lt Schaffer

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