Pour être la première puissance mondiale, il faut forcément être plus malin que les autres. Ça pique un peu de l’admettre, mais c’est un cercle vertueux - ou vicieux, selon le point de vue adopté : les puissants ont les moyens, recrutent les meilleurs, et lorsqu’ils se plantent, ont la ressource pour rebondir. Hollywood, en bon organe du soft power de la puissance en question, ne fait évidemment pas exception. Dans le domaine du blockbuster, il ne sera jamais perdant. Il peut par exemple investir des millions dans un étron fumant, se faire démonter par la presse mais rester un large succès auprès du public. Puis, quelques années après, rebooter la franchise en pratiquant un grand écart qui rendra heureux les rageux, et tout aussi satisfaits ceux qui auraient de toute façon été le voir.


Aujourd’hui, nous voilà donc enthousiastes face à un film qui fait enfin, et simplement, le job. Qu’on ne s’y trompe pas, on nous vendra la même soupe, avec monde sauvé et fifille fière de son papa à qui elle avait hurlé fuck you en préambule, explosion de bâtiments en pixels et monstre goulu. Il suffisait simplement de changer quelques curseurs pour que le plaisir puisse émerger. Moins de sérieux, et plus de pop, en exhibant les coutures d’un canevas connu de tous, et jouant des conventions pour multiplier les impasses et les fausses pistes. Une violence plus graphique, un bel esprit Z renouant avec une tradition cradingue peu convoquée chez les millionnaires, où l’on démembre, on décime par erreur – mais sans remords les alliés, et l’on joue à celui qui tuera avec le plus de classe. Des héros un peu plus cons, dont la bêtise peut apporter une fantaisie presque absurde, et arracher des sourires qu’on n’avait plus dessiné depuis belle lurette, des aptitudes déterrées dans un cerveau rongé à l’acide lysergique, avec pastilles colorées virales, mère castratrice en morphing collectif, rats domestiques, requin à un neurone ou zombies à l’étoile de mer.


Dans le blockbuster, la CGI a rendu tout possible, et l’on se contrefout désormais d’à peu près tout ce que l’action peut proposer. Tout repose donc sur la dynamique et l’invention, deux aptitudes que maîtrise encore James Gunn, qui, débarqué de Disney/Marvel, s’offre une parenthèse qui tâche pour ajouter quelques membres sectionnés, des jets de sang numérique et une scène centrale musicale dont il a le secret (Les Gardiens offraient les mêmes) pour honorer le personnage d’Harley en pleine action. On soupçonne même le gaillard de quelques sympathies pour la poésie visuelle : conscient de la lassitude possible face aux hectolitres d’hémoglobine, il les remplace par des giclées florales ; puis nous gratifie d’un rat en mal d’amour, de poissons colorés ou de titres chapitrant avec joliesses ces aventures bigarrées.


Le cynisme étant roi, on n’oubliera pas de vous faire remarquer que les forces de l’ombre restent à la console, et gèrent tranquillement les affaires en faisant fructifier le pactole sur la mort plus ou moins ridicule ou spectaculaire de leurs poulains. Le sang coule, nous sommes contents ; le cash déboule, ils sont contents. Toujours plus malins que les autres.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 7 août 2021

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Sergent_Pepper

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