"On dirait que tu vas en enfer toutes les nuits"

Décidément, les Coréens ont une vision particulière de leur police. Une fois de plus, nous avons ici un policier lourdaud, dont l'intelligence ne semble pas être la principale qualité. Un policier dont l'allure fait inévitablement penser à Memories of murder. Un policier qui aime se rouler dans la boue, qui n'est manifestement pas le patron à la maison, et qui adore hurler dès qu'il voit une silhouette de femme à la porte du commissariat.


Décidément, les Coréens adorent les mélanges des genres. Et sur ce point, The Strangers (titre dont il faut souligner le côté ridicule) est un modèle. Comédie burlesque, drame familial, polar, thriller, fantastique, horreur, le cinéaste se permet non seulement de se promener dans différents genres cinématographiques, mais de rendre hommage à ces mêmes genres et de les transcender. Le film est rempli d'allusions, de références (comment ne pas penser à L'Exorciste, par exemple), sans que cela tourne à l'obsession "citationniste" et sans gêner le déroulement d'une histoire à la fluidité extraordinaire.
Ces genres ne sont pas survolés, le réalisateur les assume pleinement. Oui, il y a vraiment de l'humour, surtout dans la première demi-heure du film. Oui, l'horreur est vraiment présente, avec des scènes parfois à la limite du soutenable. Oui, nous sommes vraiment dans un polar qui sait tenir son spectateur en haleine jusqu'aux ultimes minutes, avec tous ses rebondissements, ses fausses pistes, etc. Et le tour de force consiste à les unir les uns aux autres d'une façon tellement naturelle que jamais on en est choqué.


Décidément, les Coréens aiment surprendre leurs spectateurs. The Strangers est une surprise de chaque instant. Il est strictement impossible de trouver ce qui va se passer dans la minute suivante (et on ne parle même pas de cette fin...).
Dans ce film unique et imprévisible, le spectateur est dans ses petits souliers. Le réalisateur ne nous guide pas, il ne nous explique rien. Il ne nous prend pas par la main. Le film a ses ombres, ses obscurités, il résiste aux interprétations et aux explications. Avec une finesse remarquable, il laisse chacun à sa vison personnelle. L'alternance inattendue de rêves bouleverse complètement le tissu de la réalité : à chaque instant, nous ne pouvons savoir si ce que nous voyons est réel ou pas. Nous ne pouvons faire confiance à nos sens. Le spectateur est dans la même situation que Jong-Goo, le policier qui sert de personnage principal (dont le statut varie au film du film, de policier à père de famille) : incapable de comprendre, d'expliquer, de se faire une idée, complètement perdu dans cette histoire aux méandres inextricables.
Voyons cette scène exceptionnelle, une des plus formidables scènes qu'il m'ait été donné de voir ces dernières années, celle du double rituel chamanique. Impossible d'aboutir à une conclusion : qui, du Coréen ou du Japonais, a raison ? De quel côté doit-on se situer ? Est-ce une attaque contre les superstitions ancestrales ou, au contraire, la volonté d'un retour aux racines culturelles ?
Quoi qu'il en soit, au bout de cette séquence terrible et exceptionnelles, le spectateur sort assommé, vidé, et complètement déstabilisé. Comme à l'issue de l'ensemble de ce film.


Décidément, les Coréens savent se rendre indispensables dans le paysage cinématographique actuel. Tout, dans ce film, est une réussite extraordinaire. Film complexe qui propose des réflexions foisonnantes sur la lutte entre nature et civilisation, sur les rapports entre la Corée et le Japon, sur la peur qui entraîne un repli sur soi et un rejet de l'autre. Film visuellement remarquable, particulièrement les scènes en forêt. Film techniquement maîtrisé, avec une science consommée des cadrages, du montage et du rythme. Film surtout exceptionnel, sorte d'alchimie unique qui en fait non seulement une oeuvre sans pareille, mais aussi un spectacle intelligent dont on ressort avec l'impression d'avoir pris une claque monumentale, une claque de 150 minutes, un feu d'artifice rare de ce que le cinéma peut nous offrir de meilleur.

SanFelice
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le 15 nov. 2016

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SanFelice

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