Ruben Östlund essaierait-il de nous faire rire ? On est bien en droit de se poser la question devant The Square. En tout cas, qu'un festival aussi important que celui de Cannes puisse attribuer la Palme d'Or à un tel film relève bien effectivement de la plaisanterie, ce qui est déjà ça de gagné.


Un film sur l'art contemporain ? Oui. Mais pas que ! Gouffre entre les classes sociales pointé du doigt, snobisme de l'univers muséal, théorie sur l'attirance des femmes pour les mâles dominants, vous en aurez pour votre argent.
C'est vrai qu'on ressort presque convaincu un instant que le film aurait quelque chose d'intéressant à souffler. A condition toutefois, de mettre de côté le discours un brin misogyne (voir l'embarrassante scène d'explication dans la salle du musée avec Anne) et surtout moralisateur du réalisateur et de se laisser embarquer dans un scénario d'une grande paresse créative. Évidemment, cela retombe vite face à un tel brassage d'air.
Ce sommet d'indigence mérite d'être traité en détails. Alors, de quoi s'agit-il ? D'un directeur de musée d'art contemporain qui se fait voler ses affaires personnelles alors qu'il se rend au travail ; il décide alors de mettre en place un plan (et quel plan ! ) afin de les récupérer, et puis, après quelques épisodes sans intérêt, devinez quoi, il les récupère. Cet extraordinaire scénario nous retiendra pendant 2h30. Mais il faudra se farcir, avant cet incroyable dénouement, toute la condescendance et la prétention d'un auteur, qui, disons-le, n'a absolument rien à dire sur le sujet qu'il compte dénoncer, et préfère donc passer son temps à filmer les petites lâchetés de ses personnages chéris.


C'est que Ruben Östlund aime tellement filmer du vide qu'il ne s'embarrasse pas de la production d'un discours. C'est ainsi que la moitié des scènes n'ont aucun intérêt narratif. Un pur remplissage en bonne et due forme. Du vrai film gonflé à bloc pour la tournée des festivals et qui montre ses crocs, sur sujet brulant, petits arguments sous le coude juste au cas où l'on pose une question en conférence ; un insoutenable film en chemise et costume qui gonfle la poitrine.
D'ailleurs, un personnage sait bien gonfler sa poitrine, dans The Square. C'est l'homme-gorille, celui que l'on voit sur l'affiche du film, un "performeur" qui rentre dans la salle où résonnent encore des bruits de la jungle pour se comporter en animal sauvage. Face à un public d'abord amusé, puis pantois, il renifle, monte sur les tables, casse un verre, intimide, et va bien plus loin que cela, avant que finalement quelques hommes l'en empêchent, ces mêmes hommes qui pendant de longues minutes avant ont baissé les deux yeux. Une scène grotesque qui provoque l'embarras dans la salle comme chez le spectateur, trop conscient d'avoir affaire à une pure machination auteuriste, un simple effet coup de point gratuit, d'autant plus que la séquence arrive comme un cheveux sur la soupe. L'écriture, une fois de plus le grand échec de la scène. Convoquer la stupeur et la lâcheté des hommes face à l'altérité ? Montrer les limites du public face à une œuvre en inadéquation avec la bonne société bourgeoise ? Pourquoi pas. Encore aurait-il fallu présenter le performeur à l'avance pour connaitre son but dans une telle mise en scène, l'insérer dans le scénario, et filmer d'un peu plus près les réactions (plans sur les visages par exemple, peurs, dégoût). Et puis, plus prosaïquement, comment se fait-il qu'il n'y ait aucune sécurité dans la salle ? Doit-on comprendre que c'est au peuple lui même de lyncher les fous furieux ?
Non, vous n'aurez aucune réponse face à tout cela dans The Square. Même pas une blague sur une oeuvre afin de démythifier l'art contemporain. Rien de tranchant sur ce nouveau capitalisme qui concurrencent les musées. Pas un mot sur ces artistes qui utilisent la pauvreté siégeant au pied des musées comme médium de leur création.


Alors, du rire, oui, il y en a bien dans The Square, à l'image de ses convives donc (oh c'est rigolo le monsieur il fait le singe). Un rire gêné, confus, sortant maladroitement des personnages, et qui laisse le spectateur glacé. Une embarrassante scène de masterclass où un artiste doit supporter les cris et injures d'un homme dans le public (syndrôme de la Tourette : quelle facilité honteuse) ; une présentation qui tourne en fou rire en salle de réunion ; et cette journaliste essayant de faire rire l'homme qu'elle veut séduire ; Pathétique.
On ne peut PAS rire devant un tel objet si répugnant. Le tout est bien trop glacé, trop pris de haut, trop vulgaire. A l'image de la scène de sexe : quand a t-on vu une scène aussi mal cadrée au cinéma, aussi empreinte de vulgarité ?


Le pire film de l'année 2017 est donc ironiquement auréolé d'une palme d'or. Mais ce qui est encore plus ironique, ce sont les 2h30 que devait convoquer cet espace altruiste comme le laissait supposer le titre de l’œuvre mais qui ne se contente que du vide qu'il y a à l'intérieur.


YOU HAVE NOTHING dit une oeuvre conceptuelle en néon accrochée sur un des murs du musée ; cette fois, ce n'est pas nous qui dirons le contraire.


A.A

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le 16 nov. 2017

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Annita Antourd

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