The Search est un virage radical dans l’œuvre de son auteur et réalisateur Michel Hazanavicius, ce touche-à-tout plutôt brillant qui s’est lancé, avec pas mal de succès, plusieurs défis depuis le début de sa carrière. Il revient, trois ans après son explosif succès mondial (The Artist), s’attaquer, de nouveau, à un genre canonique : le film de guerre. Et ce, après avoir revisité (et parodié) le film d’espionnage (le diptyque OSS 117), et rendu un hommage devenu planétaire au film muet (The Artist). Il y a chez Hazanavicius cette manière d’être à la fois fidèle à ses modèles tout en les transgressant. Ici, il se lance un défi qui le dépasse un peu en adaptant, de manière éclatée, le film « Anges Masqués » (1948). Et oui, The Search est un remake. Hazanavicius en déplace l’intrigue en pleine (seconde) guerre de Tchétchénie en 1999, en multiplie et entrecroise les protagonistes mais le but reste : « the search », soit une recherche effrénée. Avant d’entrer au cœur du film, on peut déjà regretter deux choses : que ce récit, très fort voire brutal, ne soit pas moins manichéen, entre les gentils qui sont très sûrs d’eux et les méchants vraiment méchants (avec un discours qui dit : la guerre c’est mal !). De plus, Hazanavicius enfonce des portes très ouvertes, et veut, à travers le rôle de Bérénice Béjo (Carole, une responsables des Droits de l’Homme), dénoncer. Mais ses constats sont trop simplistes ! On a du mal à croire aux récits où tout est soit blanc, soit noir et où le regard perdu d’un enfant a pour seul objectif de nous tirer des larmes. Pourtant, le film de Michel Hazanavicius n’est pas raté, loin de là Car l’enfant n’est pas le seul enjeu du film, fort heureusement. Le réalisateur garde ses atouts : la mise en scène, la direction d’acteurs et la force des choses simples qu’il met face à nous.

Le film s’ouvre par une image un peu sale, pas celle d’une caméra professionnelle mais celle d’un caméscope. Une voix d’homme, qu’on ne peut encore identifier, nous décrit le pays dans lequel il est « un putain de pays », en guerre, dévasté. On arrive après la bataille nous dit-il. Avec sa caméra, il nous emmène, là où il y a du monde. Des soldats qu’il croise et qui le saluent. Ces soldats-là sont russes et vont nous montrer en quelques instants en quoi cette guerre, loin d’être une opération anti-terroriste comme le vendait la Russie à l’époque, est une vraie guerre avec des victimes civiles innocentes. Brute, sans rien nous épargner, parce que c’est son regard, l’homme qui filme, en riant, regarde un couple Tchétchène se faire tuer de plusieurs balles. A leurs côtés, une jeune fille hurle, pleure, ils ne la tuent pas. Soudain, on entend les pleurs d’un bébé, et toujours cette jeune fille qui crie « non, non, non ». Mais c’est déjà trop tard, un soldat s’avance vers la maison, la jeune fille disparaît. La caméra s’arrête brusquement. Ne reste que le noir. Cette scène, on va la revoir filmée par la caméra de Michel Hazanavicius et à travers le regard apeuré d’un petit garçon qu’on veut ériger en héros de ce film mais qui n’est là, bien qu’il joue merveilleusement bien, que pour donner une conscience soudaine à une occidentale qui, pas loin de là, œuvre difficilement pour les droits de l’homme. Cette femme-là, c’est Bérénice Béjo qui écoute, note et se fait traduire des récits de guerre pour tenter de convaincre des autorités sclérosées qu’ici, un massacre a lieu. Son point de vue, et celui du film, est cantonné là, dans cette bourgade où s’accumulent les réfugiés d’une guerre qui ne dit pas son nom. Elle est un peu lassée, surtout que sa famille ne veut rien voir, ne pense qu’à faire la fête. Carole n’y croit plus, mais agit, comme un automate, jusqu’au jour où elle croise un petit garçon aux grands yeux tristes. De fil en aiguille, elle découvre son égoïsme passé, en élevant ce gamin – devenu muet – à coup de monologues et de biens gros bons sentiments. Face à elle, elle trouve une autre femme, qui s’occupe, elle aussi d’enfants. Son discours à elle est plein de mépris pour Carole, pour les autres, ceux qui, selon elle, « ne font rien ». Son discours, c’est, en gros : la diplomatie est inutile, mieux vaut sauver un enfant que n’en sauver aucun. Voilà pour la partie « bons sentiments », qui offre quelques belles scènes, bien que trop longues entre l’enfant et Carole. Mais cette Carole, interprétée tant bien que mal par Bérénice Béjo, agace par ses dialogues pleins d’une candeur naïve. On ne comprend pas bien pourquoi elle ne cesse de dire tout ce que l’on voit. Le paroxysme étant son discours devant l’ONU quand elle tente de convaincre une assemblée de vieux pontes endormis que c’est une guerre. Certes, elle est là pour dénoncer mais les grandes et belles images du film le faisaient très bien sans elle. Car les vrais protagonistes, ceux qui valent plus la peine, de ce film ce ne sont pas, contrairement à ce qu’on lit, elle et lui (l’occidentale et l’enfant tchétchène) mais deux autres « elle et lui » (la sœur du petit garçon et un soldat – malgré lui- russe).

Ce film est aussi un croisement. Au début du film, on a laissé, toute hurlante de douleur non physique mais psychologique, une jeune fille en proie au désarroi après la mort, sous ses yeux, de ses parents. On la retrouve quelques temps plus tard, après la marche de son frère, qui s’est réfugié dans l’appartement de Carole. Elle ne sait rien, contrairement à nous, de ce que sont devenus ses deux frères (vous savez le bébé qui pleure au début et le petit garçon aux yeux gris). C’est alors que commence sa recherche. Elle va aller, marcher, résister à la peur, au froid, à la faim, à la tristesse pour retrouver ce qui lui reste : deux petits amours, deux enfants, des frères. L’ampleur du film, son rythme tient dans l’enchaînement premier de ces trois destins. Elle cherche, cherche, cherche et nous hante, le réalisateur parvient à créer une véritable tension autour de ce destin très romanesque par rapport au ton du film. Mais le film est avant tout une boucle. Nous devons alors retracer cette chronologie éclatée, et trouver qui filmait au début. Voilà que l’on rencontre un jeune homme qui vit à plus de 1 200 km du conflit. Il va être embrigadé de force dans l’armée pour avoir été pris en train de fumer un peu de drogue. Son destin à lui est une épopée sanglante, il est le vrai versant de la guerre, le plus nuancé des personnages. Il se présente d’abord comme un résistant, une victime avant de devenir un être assoiffé de violence. Le regard que nous avons alors sur la guerre, à travers ces deux figures, et surtout de celle de notre soldat de 19 ans est atroce, osons le mot. La nature humaine nous est là livrée, sans nuance le plus souvent et sans lyrisme – n’est pas Malick qui veut. C’est un récit qui bousille, qui ne nous épargne rien. (...) On ressort du film bouleversé avec l’impression d’avoir été pris en otage entre des bons sentiments et un récit d’ampleur sanglant et tristement, salement même réaliste. Putain de guerre…
eloch

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