Durant cette décennie, la cérémonie des Oscars a vécu une razzia en bonne et due forme, commise par le cinéma mexicain. Sur les dix statuettes du meilleur réalisateur, cinq ont été remportées par un mexicain, dont deux par Alejandro González Iñárritu, quinquagénaire au bouc grisonnant. La première avec Birdman et son faux, mais visuellement incroyable, unique plan-séquence. La seconde, dès l'année suivante, avec The Revenant, film à l'esthétique crépusculaire.


Afin de mieux mettre en lumière cette esthétique et, par la même occasion, d'alimenter le buzz autour de la sortie de The Revenant, rien de mieux qu'un tournage infernal. Tourné sans éclairage artificiel dans des décors 100% naturels, le film glisse rapidement dans un enfer blanc. Des journées trop courtes, un thermomètre qui descend à -30°C, le gel omniprésent, le blizzard mordant et puis, soudainement, un vent chaud faisant fondre toute la neige ce qui oblige l'équipe de tournage à quitter le Canada pour la Terre de feu en Argentine. Parallèlement, de folles rumeurs alimentent régulièrement la presse, distillées par les professionnels du merchandising.


Au fin fond du Dakota, en 1823, un petit groupe de trappeurs est attaqué par des Indiens. Fuyant sur le fleuve, les quelques rescapés s'enfoncent ensuite dans les bois afin d'éviter les Indiens à leur poursuite. Au cours d'une halte, l'un deux, Hugh Glass, part chasser le gibier. Il fait alors une mauvaise rencontre, à savoir un énorme grizzli qu'il parvient à tuer à coups de couteau, mais non avoir subi d'effroyables blessures le laissant dans un état quasi-comateux, entre la vie et la mort. Le groupe de survivants se divise alors. L'un rentrant au camp tandis que l'autre est chargé de veiller sur Glass. Parmi eux Hawk, son fils, et Fitzgerald. Ce dernier tente d'étouffer Glass mais est surpris par l'intervention d'Hawk. Il le tue alors devant les yeux de son père impuissant. Le lendemain, Glass est abandonné à moitié enterré, laissé pour mort. Glass, mû par le feu de la vengeance, se lance alors à la poursuite de l'assassin de son fils dans un environnement particulièrement hostile.


La civilisation est, dans The Revenant, quelque chose d'abstrait ou de fort lointain. Le récit se déroule près d'un demi-siècle avant la guerre de Sécession, pierre fondatrice de la construction des Etats-Unis. Iñárritu filme une Amérique sauvage où les hommes sont des bêtes, ni pires ni meilleurs ques les animaux peuplant cette nature qui paraît alors indomptable. Un discours martelé tout le long du film et dont l'image la plus parlante reste cet indien que croise Glass, pendu à un arbre, un écriteau "Nous sommes tous des sauvages" accroché autour du cou.


Pour la mise en scène et la construction de son film, le réalisateur est épaulé de ses fidèles Emmanuel Lubezki, virtuose de la photographie et également grand collaborateur de Terrence Malick et Alfonso Cuarón, et Stephen Mirrione au montage. Pour l'occasion, une certaine Jacqueline West est embauchée en responsable des costumes. La même Jacqueline West qui travailla avec Malick, notamment sur Le Nouveau Monde.


La faiblesse de The Revenant ? Sans doute son nombrilisme. Trop centré sur le personnage de Glass, c'est à dire sur celui qui interprète ce rôle, DiCaprio. L'acteur est, depuis quelque temps déjà, à la recherche du film performance qui lui ouvrirait les portes d'une récompense qui lui échappe, celle de l'Oscar du meilleur acteur. DiCaprio rivalise donc durant plus de 2h30 de mimiques de souffrance, de férocité et de ténacité. Un rôle captant presque chaque mouvement de la caméra et qui ne peut être contrebalancé par celui du méchant Fitzgerald, incarné par un Tom Hardy grommelant, une fiévreuse folie au fond des yeux.


Oeuvre dantesque, The Revenant est un film de survie et de vengeance. La sauvagerie de l'homme et de la nature ne cherche pas à être sublimée ou expliquée. L'arrogance qui entoure ce projet annihile cependant tous les efforts déployés par Iñárritu, son équipe et les acteurs. En effet, la suraccumulation d'exploits physiques et de moments de bravoure vire à un étalage grandiloquent de performances de mise en scène et de jeu d'acteur. Dommage…

Vincent-Ruozzi
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le 2 sept. 2019

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