À force de visionnages, de lectures et de mises en perspectives, il arrive qu'on oublie le film en tant que tel pour replacer l'objet dans un plan global, la filmographie de son auteur/autrice. On cherche à l'imbriquer comme une pièce dans un vaste puzzle, or l'expérience nous apprend que l'œuvre cinématographique est une matière mouvante, conditionnée par nombre de variables (ajustements, doutes, remises en question). Si en plus le personnage principal rompt totalement avec ceux qui l'ont précédé, où va-t-on ? Hors de la zone de confort, et c'est bien ce que cherchais Jane Campion en adaptant The Power of the Dog.
Pour être honnête, elle y arrive vraiment dans sa deuxième heure. La première moitié ne manque pas d'arguments, surtout grâce à son casting. Mais l'originalité et la subtilité ne seront pas de mise durant cette (trop) longue exposition. On assiste à un curieux jeu de chaises musicales, tel personnage-clé disparait un temps pour revenir tandis qu'un autre occupe l'espace pour ensuite être relégué au second-plan. Ce qui importe met longtemps à émerger, alors que l'ennui n'était jamais bien loin. Tout à coup, alors qu'on commence à percevoir l'idée, un zeste de venin infuse et trouble légèrement la vision.
On voit deux mondes ou plutôt deux ères s'affronter, l'une au crépuscule, l'autre à l'aurore. Le Far-West a asséché tous ses charmes, ce qu'il reste du mythe serait répugnant s'il n'y avait une zone furtive où la flamme brûle encore. Alors que son temps est compté, que pourrait-il léguer par delà les traditions et la sauvagerie ? Les personnages évoluent en se confondant avec leur environnement, dans leur simplicité ou leur impassibilité, une énigme coriace qu'on s'échine à solutionner. Campion extirpe de ses interprètes juste ce qu'il faut pour parasiter nos certitudes. Rien n'est compliqué, tout est là sous nos yeux, derrière les très bonnes prestations de Benedict Cumberbatch et Kirsten Dunst, à qui la détresse va si bien.
Une fois qu'on a la réponse, il s'avère que The Power of the Dog est autant le fruit d'une union entre moult talents que le dernier-né énigmatique mais harmonieux dans la carrière de Jane Campion. S'il y avait bien une motivation derrière le film, c'était bien de prendre une direction, parallèle et/ou contraire. Dans les deux cas, les routes croisent immanquablement des thèmes déjà forts dans les précédentes excursions de la réalisatrice.