
Si les films nous promettant des frissons au détour d’une enquête mystérieuse sont légion, ceux mettant en scène un Edgar Allan Poe fictif sont beaucoup plus rares et éveillent forcément notre intérêt. C'est d’ailleurs l’argument principal de The Pale Blue Eye, le thriller gothique concocté par Scott Cooper pour la plateforme Netflix : un film plein de promesses, avec son casting clinquant (Christian Bale, Harry Melling, Gillian Anderson, Robert Duvall, Charlotte Gainsbourg) et sa photographie chiadée, mais qui s’avère aussi digeste qu’un pudding de Noël.
Adaptée du texte de Louis Bayard, l’intrigue propose l’idée que si le génie que fut Edgar Allan Poe se voyait impliqué dans la résolution d’une série de meurtres, il saurait démasquer rapidement le coupable, ou deviendrait lui-même un suspect. Son univers gothique sert en tout cas de base à ce récit qui demeure néanmoins fictif : on suit l'enquête menée par Augustus Landor (Bale), recruté par les dirigeants d'une académie militaire de l'État de New York pour élucider le meurtre sordide de l'un de leurs cadets, durant la première moitié du XIXe siècle.
Malgré la nature des crimes commis, The Pale Blue Eye a le bon goût de privilégier les notes mélancoliques aux ambiances pesantes et morbides. On sent Cooper très attentif et méticuleux afin de façonner une atmosphère gothique suffisamment fascinante pour emporter l’adhésion du public. Il y parvient d’ailleurs dans la première partie du film, en adoptant un rythme efficace, en distillant une esthétique joliment glaciale, en déroulant les bases d’un whodunit au suspense accrocheur. Reconnaissons-le, les éléments convoqués flattent la rétine dès les premiers instants, les scènes grand-angle en extérieur sont d’ailleurs extrêmement réussies avec ces nuances de bleu vagabondant dans un décor au blanc éclatant. Tout comme cette imagerie qui, en gagnant en chaleur à travers des éclairages tamisés, devient paradoxalement bien plus inquiétante.
Seulement, si toutes ces qualités sont incontestables, elles s’éventent malheureusement assez vites et n’empêchent pas le film de sombrer dans un ennui plus mortel que les cadavres qu’il expose. Des faiblesses qui s’annoncent dès la première moitié du film consommée, avec ce rythme sombrant dans le ronronnant, ces allusions à Poe manifestement paresseuses, et avec cette enquête au déroulé grossier et guère peu divertissant. L'écriture pose question, indéniablement, lorsque l’on voit le récit s’empêtrer ainsi dans des flashbacks artificiels et dans une simple mécanique de rebondissement. Si le scénario tente quelques réflexions pertinentes sur le deuil, les remords et la vengeance, l’ensemble peine à convaincre sur la durée, gaspillant ses bonnes intentions dans des passages attendus, voire peu subtils, tout en gâchant les promesses d’un casting étoilé avec des rôles flirtant bien souvent avec la caricature : Harry Melling a beau faire de son mieux, il ne peut empêcher son personnage d’être décevant. Décevant comme l’est finalement cette rencontre entre Cooper et Poe circonscrite au petit écran de Netflix.
(5.5/10)