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Edgar Allan Poe qui aide un enquêteur à résoudre une série de meurtres, avec arrachage de cœur intégré, à West Point alors que le futur écrivain de génie y était cadet à l'époque ! Ouais, cela a un côté Détective Edgar Allan Poe comme pour Détective Batman ou Détective Pikachu.


Mais, blague à part, pourquoi pas. Pourquoi pas si l'ensemble ici se réfère énormément à la personnalité qui se dégage des futures œuvres de l'auteur gothique, c'est-à-dire si ça justifie sa présence qui soit autre que de l'ordre de l'anecdote biographique (oui, Poe a fait partie de la fameuse académie militaire durant quelques mois avant de s'en faire virer !). En outre, en tant que futur inventeur du roman policier et même du whodunit, il n'est pas incohérent de le voir mêlé à ce type d'intrigue. Bon, pour les références, ben non, on ne peut pas dire que cela se rapproche en quoi que ce soit de la littérature de celui à qui on devra La Chute de la maison Usher ou Double Assassinat dans la rue Morgue. Il n'y a même pas un petit corbeau à traîner dans le coin.


Bref, ce serait n'importe quel cadet élégant, éloquent et excentrique, à ne pas s'appeler Poe, à la place que cela ne changerait rien. À croire que ce nom prestigieux n'est ici qu'un petit argument commercial pour attirer celles et ceux qui sont intéressés par cette légende littéraire (je confesse n'avoir regardé ce film que pour cette raison et je précise ne pas avoir lu le bouquin adapté ici !).


Si cela n'avait été que le seul souci !


L'ensemble prend énormément son temps pour poser son atmosphère. Plus de la moitié de la durée totale du film pour être précis. Et cela m'aurait été tout à fait si ce temps avait été utilisé pour bien représenter le cadre dans lequel se déroule l'enquête, les divers personnages secondaires, leurs relations, des éléments qui vont utilisés plus tard pour que le tout semble couler de source et ne pas sembler sortir de nulle part, tout en ne perdant pas de vue le sentiment d'urgence parce qu'il y a un tueur psychopathe qui traîne dans le coin. En outre, la Pennsylvanie hivernale joue à la perfection son rôle de l'état de New York de la première moitié du XIXe siècle et son côté froid et grisâtre se prête très bien à une ambiance glauque et morose.


Bon, tout ceci est loupé.


L'enquête est censée se dérouler à West Point. Il n'y a même pas 10 % du film à prendre place dans l'académie militaire. Les protagonistes sont quasi toujours à l'extérieur ou dans d'autres lieux pour x raison. Donc, si vous voulez voir ce que c'est qu'une enquête dans une prestigieuse académie militaire américaine au XIXe siècle, oubliez. Ce n'est pas comme si, en plus, il n'y aurait pas eu de justifications valables à rester nettement plus dans cet endroit. Après tout, le personnage principal d'enquêteur demande à Poe d'être ses oreilles et ses yeux à West Point pour l'aider, vu qu'il pourrait y chercher discrètement, du fait qu'il porte l'uniforme, des indices les approchant de l'identité de l'assassin. Niet.


Les divers personnages secondaires ne sont jamais exploités. Ils apparaissent sporadiquement, sans que leur présence ait le moindre impact ou si elle en a un, c'est balancé comme ça, sans rien pour le préparer d'une manière crédible. Poe est amoureux de la jolie fille du médecin de l'académie, balancez comme ça parce que "ta gueule, c'est comme ça !". Il y a un élément de surnaturel qui intervient à un moment précis. Or, là aussi, rien n'annonçait jusqu'ici la plus petite parcelle d'intervention surnaturelle (ce qui est con, car cela aurait été l'occasion idéale pour dégager un peu plus d'atmosphère à la Poe dans un récit qui en avait besoin désespérément ; en effet, le surnaturel a une place importante chez l'auteur des Histoires extraordinaires !). C'est balancé comme ça parce que "ta gueule, c'est magique !". Ce qui a pour résultat que la séquence en question est plus ridicule et risible qu'effrayante et perturbante.


Ce qui a une autre conséquence. Le film a réuni, pour ses rôles secondaires, une distribution qui a de la gueule : Gillian Anderson, Robert Duvall, cocorico... Charlotte Gainsbourg, Toby Jones et Timothy Spall. Et l'histoire ne leur donne pas du tout de personnages bien creusés, des choses à jouer bien consistantes. N'importe quel acteur ou n'importe quelle actrice de dixième zone aurait pu faire aussi bien le job à la place. Mais c'est gentil d'être venus.


Et pour le sentiment d'urgence, on peut oublier aussi. Je n'ai jamais eu la sensation d'un danger permanent et quand il y a "enfin" une autre victime, le scénario n'a pas pris le temps de nous l'introduire suffisamment longuement auparavant pour que cela ait le moindre impact émotionnel.


Et le vieil adage "show, don't tell", ce serait bien qu'il soit respecté. Les pauvres neurones du spectateur aiment bien faire 1 + 1 = 2 tout seul, donc ce n'est pas la peine de lui dire une bonne palanquée de fois ce qu'il aurait été capable de deviner tout seul, sans problème. L'exemple le plus parlant est quand il est répété une bonne dizaine de fois par les dialogues que la fille de l'enquêteur a disparu. Oui, c'est bon, on a compris qu'elle avait disparu, bordel.


Ah oui, détail insignifiant par rapport aux défauts exposés au-dessus, je le reconnais, il n'y avait pas les moyens d'engager un coach en français pour que quand certains acteurs se mettent à parler la langue de Molière, cela ressemble auditivement à du véritable français et non pas à une bouillie incompréhensible trois mots sur quatre ? Ou alors demander carrément de l'aide à Charlotte Gainsbourg, comme cela sa présence sur le plateau de tournage aurait été utile à quelque chose.


Le seul truc que je sauve du résultat global, à l'exception des extérieurs hivernaux précédemment évoqués, c'est la rencontre entre le protagoniste, d'un caractère réservé et sombre, joué par Christian Bale (qui fait un peu son Bruce Wayne !), et le personnage d'Edgar Allan Poe, aux attitudes beaucoup plus extériorisées, joué par Harry Melling, dont les différences de tempérament parviennent à injecter une dynamique (pas de trop dans un long-métrage autrement chiant !) qui trouve son point culminant lors du retournement de situation constituant les vingt dernières minutes du film.


Évidemment, c'est très loin d'être suffisant pour sauver The Pale Blue Eye du ratage et de ne pas faire regretter le grand potentiel à côté duquel il passe.

Plume231
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le 9 janv. 2023

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