Par la colère ardente du nouvel homme

Le chant gronde par delà les mers glaciales

Mutation vengeresse, bestial en nouveau génome

Le bourreau tombera, sous la revanche infernale

Telle est la voie, telle est la destinée

Ainsi soit, la parole du victorieux

L'âme tranchante, larmes du presque couronné

Même l'aveugle l'a vu de ses yeux

Cœur de basalte en fragmentation

Hargne pour l'un, amour pour l'une

Le guerrier lève son fer au clair de lune

Cœur de sang jaillissant en fusion

Le corps s'expose en puissant rempart

La chaleur s'estompe, fait place au blizzard.

Fidèle à son talent de raconter les légendes et les contes, Robert Eggers s'empare cette fois-ci de l'atmosphère nordique et en fait une véritable fresque de folie et de sauvagerie. Il délivre alors au spectateur une œuvre sensitive aux touches épiques et ésotériques, enchantée par des paysages aux forces telluriques les plus contemplatives. La force du film se déploie à travers son aura mystique et guerrière, délivrant ainsi des scènes enivrantes de folie ou bien de violence qui m'ont laissé le sentiment d'ébahissement devant l'écran. J'ai pris quelque temps avant de découvrir ce film que j'attendais beaucoup, laissant de côté tout avis dithyrambique ou dépréciatif, toute image et récit associés, et ce fut avec énormément de plaisir que je découvris plein d'émerveillement cette œuvre. Son image est captivante, aussi bien de façon diurne que nocturne avec un travail important de la couleur. Les performances d'acteurs participent également à l'ambiance du long-métrage, avec des figures charismatiques telles que le roi Aurvandill (Ethan Hawke), le seigneur Fjölnir (Claes Bang) ou encore Thorfinnr (Hafþór Júlíus Björnsson). Le film est très riche dans sa construction, ce qui va par conséquent me limiter dans les nombreux points qu'il faudrait aborder.

De fait, nous allons rentrer en territoire de la divulgation, terre sacrée réservée à ceux dont l'œuvre a été pleinement révélée.

Mythologie et coutume nordiques

The Northman s'impose effectivement comme une expérience différente suivant les spectateurs, son immersion est notamment portée par la culture nordique qui imbibe le récit dés son introduction. Terre enneigée, arrivée triomphante, musique grandiose, banquet de festoiement, présentation des personnages, l'ambiance est déjà posée. La première partie comporte également un rite initiatique destiné au jeune prince Amleth dans le but qu'il devienne un homme pour légitimer sa succession, la scène revête une atmosphère mystérieuse, cachée en profondeur où la caméra s'engouffre avec le roi et le prince. Un esprit de rituel se met alors en scène entre les personnages accompagnés par le bouffon Heimir, hypnotisant par le jeu de Willem Dafoe. Tels sont les apprentissages, devenir homme et protéger le sang familial.


Le concept de vengeance et de destinée est le point central du film et participe à cette dimension mystique entre visions et cérémonies. Il est d'ailleurs rappelé par Seeres (interprétée par Björk) lors d'une scène entre hallucination et réalité, où elle dresse le chemin d'Amleth vers sa vengeance. Cet univers est vaste et pourrait se représenter par des quêtes comme l'affrontement physique ou mental du protecteur de la lame Draugr, ou encore les rituels sacrificiels pour apaiser les Dieux ou bien des visions divines avec la fameuse et la glaçante Valkyrie. Le film varie ainsi les références et symboliques à l'image des corbeaux sacrés qui accompagnent le héros dans son épopée.


Virilité masculine et sorcellerie féminine ?

Avec cette thématique nous restons dans l'archétype de la tradition avec la représentation d'une force virile qui doit combattre pour prouver sa valeur et dont la priorité est de mourir au combat, on le voit lors des batailles mais également lors d'événements sportifs tel que le knatttré qui affirme les gagnants en distinction comme nous le voyons avec Amleth qui se voit accorder quelques privilèges, avec aussi cet élan de protection prémonitoire pour le fils de Fjölnir.


La présence féminine est également placardée dans des archétypes, celui de la bonne et loyale mère ou bien celui de la sorcière. Ce point suivant est perçu comme un élément redouté par les hommes, le rite initiatique évoque notamment la façon dont Odin a perdu son œil, en voulant connaître la magie secrète des femmes. On nous dit qu'elles connaissent les mystères de ceux-ci, d'où l'importance des Nornes qui définissent les destins ou encore Olga qui ressent des choses du pouvoir de la terre. La nature de l'esclave est également évoquée, à noter que celui des hommes aussi bien qu'il soit largement secondaire car Amleth est seulement esclave de sa destinée. Ainsi, le statut servile est marqué par sa mère qui insinue son passé et son aliénation lors de cette façade heureuse tandis qu'elle n'était qu'un réceptacle de la descendance et non d'un réel amour. Olga révèle une rébellion intérieure, en se défendant lors de l'attaque du village ou encore lors de la tentative de viol du seigneur, elle symbolise une quête de liberté dont la fin sera sa bénédiction à l'image des autres esclaves également libérés.


Dilemme entre la haine et la tendresse

Choisir entre la bonté envers ses proches ou bien la haine envers son ennemi, cette destinée suppose alors d'avoir connu les deux pans. D'un côté la haine alimentée dès l'enfance par la trahison de son oncle Fjölnir puis plus tard adulte face aux révélations de sa mère Gudrún (Nicole Kidman). Cette vengeance hargneuse est délivrée tout au long du film à travers cette virilité bestial qu'incarne admirablement l'acteur Alexander Skarsgård, son investissement est notamment marqué par le plan-séquence très immersif de l'attaque d'un village slave. La violence prend déjà le pas, et il saura la perpétuer sur les terres islandaises en faisant connaître l'enfer au seigneur des lieux entre mutilation de guerriers et éviscération lors d'un  sacrifice inversé.


La tendresse est symbolisée d'abord par son enfance, en tant que prince choyé par un père et une mère aimante. Bien que l'illusion de ces dispositions normées se dévoile via la remise en cause de la mère, soumise au roi et contrainte de mener la vie qu'on lui imposera. De ce fait, les premiers moments de tendresse à son grand âge d'adulte s'immiscent par le dialogue, certes peu bavard mais sincère en contraste aux cris et hurlements bestiaux qu'il incarnait en Viking sans horizon hormis celui de la guerre. Cette relation naît durant la traversée des esclaves vers l'Islande avec Olga interprétée par Anya Taylor-Joy, la complicité évolue efficacement lors du long-métrage et aboutit à l'épanouissement d'un amour au présage d'une descendance. L'un des moments les plus emblématiques et poétiques se dessinent dans ces deux corps nus enlacés, l'anatomie en composition parfaite au modèle antique formant une étreinte charnelle à la fois forte et incrustée d'un travail sur les zones ombragées de la végétation environnante. Leur étreinte forme l'alliance de la force brute et puis de la malice avec cet empoisonnement hallucinatoire.


Le temps de l'apothéose arrive, le choix de l'amour prédomine alors sur la vengeance, la musique est belle et le vent porte l'embarcation vers un avenir plus radieux. Toutefois, cet idéal ne dure qu'un instant et le destin rattrape Amleth qui ne voit plus la vengeance mais plutôt la protection de ses futurs héritiers. La violence à la fois bestiale et protectrice resurgit lors d'une surenchère de brutalité, aboutissant au combat final sur les terres de Hel. Quintessence de l'épique, au sein des brasiers rougeâtres et des cendres grisâtres, les deux corps sculptés des guerriers se font face pleins d'acharnement jusqu'au trépas mutuel. Un choix qui questionne, si dans cette décision finale en apparence barbare, n'y aurait-il pas une tendresse profonde pour garantir une pérennité de sa famille en annihilant le cycle vengeur...


Robert Eggers : un compositeur des légendes

À la suite de ses deux films, The Witch et The Lighthouse que j'affectionne particulièrement, Robert Eggers poursuit un parcours que je considère sans fausses notes. Je ressens dans son style un travail passionné pour chaque sujet dans l'écriture mais également dans ses choix esthétiques où on constate une palette colorée très vaste dans The Northman. Il parvient ainsi à apporter une proximité à l'art pictural avec l'appui fidèle du directeur de la photographie Jarin Blaschke. De même, l'élément majeur de la création de l'ambiance est bien la musique avec au total 43 pistes composées par Robin Carolan et Sebastian Gainsborough. Elles sont toutes très qualitatives et immersives, on pourrait notamment citer la musique d'arrivée charismatique du roi Aurvandill (The King), ou encore les scènes avec la Valkyrie (Valkyrie et Make your Passage), et encore bien d'autres très marquantes aux sonorités de percussion et de chants graves. En voyant le making-off on se rend d'autant plus compte de l'envergure du travail fourni avec la fabrication d'habitations au sein d'un paysage naturel où les conditions de tournage étaient soumises au vent et à la pluie. On se rend également compte de la précision des plans, en particulier avec ma synchronisation des chaque acteur pour faire avancer les deux enesques sur l'eau, la chorégraphie des combats incarne aussi la minutie accordée à ce film colossal pour lequel l'univers de Robert Eggers l'accueille avec conviction.

Cubick
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le 13 juil. 2022

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