Le temps d'un plan, j'y ai cru, au point d'en avoir une demie molle. Le temps d'un opening theme fracassant, me renvoyant au temps béni de Blade Runner, et dont les basses me parcourent l'échine avec une jouissance non dissimulées pour mes oreilles. Le temps d'une Elle angélique, lovée sur son sofa, la gorge dégoulinante de fausse hémoglobine, toute entière abandonnée aux flashs du photographe. J'y ai cru putain, j'étais convaincu qu'à la fin de la séance, mon coeur de cinéphile aurait lâché sous les coups de Refn. Un peu moins de deux heures plus tard, me voilà perplexe, le cerveau coincé entre fulgurances et ennui poli.


Second long-métrage de son deal de deux films avec Gaumont et Wild Bunch, trois ans après un Only God Forgives déjà controversé, Nicolas Winding Refn annonce clairement la couleur dès les premiers instant de The Neon Demon. Son nouvel essai sera tout entier voué à la beauté, celle parfaite et pure, sera une sorte de produit griffé à destination de ses fans, ceux qui se déplaceraient en salles même pour le voir pondre une adaptation de Oui-Oui.


Oubliées les hésitations maladives, la peur de se répéter, de ne pas être à la hauteur de son hit Drive, de ne pas satisfaire les attentes du public, que l'on a pu entrevoir lors du tournage de Only God Forgives. L'accueil extrêmement glacial de ce dernier semble avoir poussé NWR (signature qui apparait sous le titre du film, telle celle d'un Yves Saint-Laurent) à faire tout simplement ce qu'il souhaite, ce qu'il a envie à l'instant même où il le veut, au risque d'y aller un peu à l'aveuglette.


Vendu à ses producteurs sur du vide, sur la simple promesse d'un feu d'artifice, sans la moindre petite idée de scénario, The Neon Demon semble payer, à mes yeux, les pots cassés de cette précipitation. Comme si l'ambition et la sincérité de Refn, à n'en pas douter immenses, se consumaient en cours de route faute d'une plume assez talentueuse pour les concrétiser. Paresse ? Aveuglement ? Manque de temps ? Absence de recul ? Toujours est-il que la proposition du cinéaste, ô combien prometteuse, est restée à l'état de simple intention à demi-réalisée.


A l'image de protagonistes rarement consistants, condamnés à ne rester que de simples symboles, comme cette héroïne virginale qui n'évoluera jamais vraiment, les nombreuses références chères à Refn n'enrichissent malheureusement jamais le récit. Convoquant aussi bien le Suspiria de Dario Argento, Cat People version Schrader, le The Hunger de Tony Scott ou bien encore les univers de Satoshi Kon ou Brian De Palma, le créateur de Pusher reste désespérément à la surface des choses, esquissant de nombreuses pistes intéressantes sans jamais les développer au-delà de la simple idée ou citation.


Difficile dans ces conditions pour moi de me sentir un minimum concerné envers des personnages désincarnés à la destinée prévisible, ne pouvant qu'observer tout ce petit monde avec un ennui poli, attendant patiemment le générique final, qui n'interviendra qu'après un épilogue gratuit et interminable, noyant définitivement un film déjà bien riche en symbolisme ultra-appuyé et bien lourd. Et pourtant.


Et pourtant, je ne peux décemment pas taper complètement sur The Neon Demon. Car il subsiste quelques belles choses, quelques moments en état de grâce. Il reste une mise en scène flamboyante, bien entendu sur-esthétisée mais justement cohérente avec le microcosme qu'elle décrit. Il reste un message loin de tout hypocrisie bien-pensante, clamant haut et fort à son audience qu'elle a le droit le plus absolu d'aimer le "beau", d'être fascinée par le strass et les paillettes, à condition toutefois de ne pas s'y perdre.


Il reste cette collaboration une fois de plus magistrale avec Cliff Martinez, fusionnant parfaitement le son et l'image. Un casting impeccable, allant de Elle Fanning, parfaite, à Jena Malone, mystérieuse (et personnage finalement le plus intéressant), en passant par un Keanu Reeves étonnant et bien d'autres encore. Et cette allusion à Erzébeth de Bathory, vénéneuse, troublante et mélancolique, sans conteste un des moments les plus marquants d'un long-métrage qu'il me faudra revoir à tête reposée.


Fascinant, lourd, hypnotique, casse-gueule, cohérent dans sa forme comme dans sa démarche mais prévisible et limité dans sa portée, The Neon Demon ne laissera clairement pas indifférent et c'est peut-être sa plus grande force. Le délire d'un metteur en scène que j'aime énormément, qui m'aura cette fois-ci laissé sur le bord de la route, mais qui, je l'espère, m'invitera à son prochain voyage, sans rancune aucune.

Créée

le 20 juin 2016

Critique lue 11.5K fois

193 j'aime

6 commentaires

Gand-Alf

Écrit par

Critique lue 11.5K fois

193
6

D'autres avis sur The Neon Demon

The Neon Demon
Antofisherb
5

Poison Girl

Bon allez, pas d’introduction bien tournée pour cette fois, pour éviter toute confusion et parce qu’on colle des procès d’intention au film pas tout à fait pertinents, je vais commencer par quelques...

le 8 juin 2016

196 j'aime

45

The Neon Demon
Gand-Alf
5

Beauty is Everything.

Le temps d'un plan, j'y ai cru, au point d'en avoir une demie molle. Le temps d'un opening theme fracassant, me renvoyant au temps béni de Blade Runner, et dont les basses me parcourent l'échine avec...

le 20 juin 2016

193 j'aime

6

The Neon Demon
Sergent_Pepper
8

Splendeur et décadence.

La plastique, c’est hypnotique. La bande annonce, le clip, la publicité : autant de formes audiovisuelles à la densité plastique extrême qu’on louera pour leur forme en méprisant le plus souvent...

le 13 juin 2016

149 j'aime

19

Du même critique

Gravity
Gand-Alf
9

Enter the void.

On ne va pas se mentir, "Gravity" n'est en aucun cas la petite révolution vendue par des pseudo-journalistes en quête désespérée de succès populaire et ne cherche de toute façon à aucun moment à...

le 27 oct. 2013

268 j'aime

36

Interstellar
Gand-Alf
9

Demande à la poussière.

Les comparaisons systématiques avec "2001" dès qu'un film se déroule dans l'espace ayant tendance à me pomper l'ozone, je ne citerais à aucun moment l'oeuvre intouchable de Stanley Kubrick, la...

le 16 nov. 2014

250 j'aime

14

Mad Max - Fury Road
Gand-Alf
10

De bruit et de fureur.

Il y a maintenant trente six ans, George Miller apportait un sacré vent de fraîcheur au sein de la série B avec une production aussi modeste que fracassante. Peu après, adoubé par Hollywood, le...

le 17 mai 2015

207 j'aime

20