S'ouvrant sur une scène de chasse dont nous pourrions rediscuter du contenu, The Lost City of Z de James Gray s'en sert pour nous exposer son long-métrage et plus particulièrement son personnage principal : Percy Harrison Fawcett. Figure britannique historique née en 1867, on comprendra rapidement au travers de cette balourde scène cynégétique que Fawcett, malgré son habileté de terrain, souffre d'un cruel manque de reconnaissance.

Motivation suffisante, selon toutes vraisemblances, pour quitter femme et enfants et se rendre, à une bonne dizaine de milliers de kilomètres à l'ouest, au plein cœur de la Bolivie. Répondant à l'appel de la Royal Geographical Society, il a pour mission de cartographier le fleuve séparant la Bolivie du Brésil et de fixer ainsi, une bonne fois pour toutes, les limites entre ces deux pays qui s'arrache de lucratives plantations de caoutchouc.

Le Film de jungle

Qu'il s'agisse de films immobiles (La Belle de Saïgon, Gorilles dans la Brume ou encore le récent Onoda) ou de longs-métrages cinétiques (Apocalypse Now, Les Confins du Monde, La Ligne Rouge...), le film de jungle a pour lui de transmettre cette sensation poisseuse qui vous fait redouter chaque respiration, tant les miasmes et les maladies semblent omniprésentes. Le danger se niche partout, et parfois bien loin des crocs félins ou des ondulations reptiliennes: microbes empoisonnant l'eau, mare infestées de piranhas, plantes toxiques, moustiques vecteurs de maladies... La mort est palpable et souvent invisible.

Fort de ce constat, James Gray, qui envoie son héros deux ans d'affilée dans la jungle, échoue à transmettre à son spectateur toute sensation. Nous allons essayer de voir pourquoi...

Notre part de Nuit

Si la jungle est effectivement filmée longuement, elle l'est quasiment toujours sous le même éclairage diurne. A peine un plan de coupe où nous pouvons apercevoir le ballet nocturnes de chauves-souris en quête de nourriture, et Gray évacue toute ambiance vespérale de son film.

Étrange choix que d'éluder volontairement cinquante pourcent de la vie de l'expédition, a fortiori la période de la journée la plus censément cinématographique: lumière rasante, ambiance sonore de la jungle de nuit, le ciel nocturne dépossédé de toute pollution lumineuse,... Tout cela, Gray l'ellipse totalement de son long-métrage. Résultat: l'expédition parait hors-sol, presque irréelle, jamais tangible, et forcément cela impacte le ressenti du spectateur.

Mais la nuit ne fait pas tout...

L'Empire des Sens

Si, comme nous l'avons vu plus haut avec notre liste de films, la jungle semble être le lieu même des sens, Gray peine à en invoquer lors de son The Lost City of Z.

Les maladies et les blessures sont escamotées. On ne comprend ni leur origine, ni comment les protagonistes s'en débarrassent, et continueront tout au long du film d'apparaitre et de disparaitre sans réelle explication. Il n'est jamais question d'invoquer l'odorat face à une blessure infectée, ni même de titiller le sens le plus facilement excitable face à des plaies visibles: la vue. La tiède caméra de Gray semble rechigner à les capter.

Pareil pour les prédateurs. A un moment, le personnage principal, suite à une attaque d'indiens, se retrouve dans une eau grouillante de piranhas... L'eau se trouble d'hémoglobine et Fawcett peine à remonter sur le radeau. Et pourtant, suite à ces quelques secondes de tension doublée d'une musique en adéquation (pour réveiller le spectateur endormi ?), Gray l'oublie. Aucune séquelle, aucune blessure, il n'est même pas question de cette chute potentiellement mortelle entre les protagonistes.

Rebelote plus tard lorsque leur route croise celle d'une panthère, dont Gray ne fera absolument rien, si ce n'est cocher la case "Grand prédateur" dans son cahier des charges de film de jungle.

Et c'est la même histoire pour tous les moments de la vie de ces explorateurs: nous ne les verrons jamais faire leur toilette, ni même simplement répondre à leurs besoins naturels, pas plus que nous ne comprendrons comment ils mangent et quoi... Tout cela ne semble guère intéresser Gray.

Les indiens selon Gray

Une bonne partie du discours du film place Fawcett en défenseur des tribus autochtones. Une position novatrice, qui lui vaut d'ailleurs des ennuis dans une époque où les "sauvages" sont considérés comme des peuples à éduquer et évangéliser par les européens.

Qu'en est-il du film de Gray ? Il nous montre des indiens tantôt asservis, tantôt cannibales, et le seul personnage qu'il développe quelque peu se trouve être celui qui trahit l'équipage (il voit venir le piège de flèches et ne dit rien), et finira par l'abandonner en disparaissant dans la forêt.

Drôle d'image, dans un film qui dépeint un personnage principal ouvert et inquiet de la cause des indigènes, tant il aurait pu développer leurs compétences athlétiques, leurs profondes connaissance de la forêt et de sa pharmacopée ou leurs traditions ancestrales par exemple.

Suite d'incohérences

Les biopics et les films "tirés d'histoires vraies", nous avons déjà pu le remarquer, se ramollissent dans l'autojustification de ce qu'ils mettent à l'écran. Après tout, le spectateur n'a qu'à tout gober, puisqu'il s'agit d'évènements véridiques...

The Lost City of Z n'échappe malheureusement pas à cette tare...

Déjà, il n'a de cesse de marteler que ses personnages sont les premiers hommes blancs (entendez, "européens") à fouler cette terre. Or les tribus qu'ils croisent parlent toutes espagnol et les lanceurs de flèches belligérants cessent leur attaque lorsqu'ils entendent l'hymne anglais... Pas très crédible tout ça pour des individus qui n'auraient jamais vu l'homme blanc...

Outre cela, les tribus décrites tout au long du film semblent toutes les mêmes: vêtements semblables, coutumes similaires, langue unique, alors même que l'Amazonie héberge des dizaines et des dizaines d'ethnies autochtones différentes... C'est un peu court, monsieur Gray.

Bref, The Lost City of Z n'est visuellement clairement pas déplaisant, même si le filtre curry emprunté à Jean-Pierre Jeunet alourdit parfois l'image. Notons un rythme bancal, que Gray ne parvient pas à faire prendre tant il clopine entre tempo lancinant et scènes d'action hors-sol, mais qu'il compense sans doute avec une bonne interprétation et, concédons-le, une jolie reconstitution historique. Mais qu'il est triste d’assister à un film de jungle de cette ampleur qui parvient si peu à nous faire ressentir ce qu'il filme !

Mr_Wilkes
5
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Créée

le 1 déc. 2022

Critique lue 13 fois

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Mr_Wilkes

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