L'indicible plaisir éprouvé par le support physique place d'emblée The Immigrant dans la case redécouverte majeure. (Notons que l'étalonnage sur Blu-ray diffuse avec un surplus de brio les teintes sépias apposées par Darius Khondji en comparaison de la projection ciné plus charbonneuse). Il ne s'agit pas d'amoindrir la perception que l'on pouvait avoir de l'oeuvre en salles mais d'entériner le fait que chaque métrage de James Gray s'étoffe à mesure des visionnages. Le classicisme brut, ce rempart formel derrière lequel le réalisateur de Little Odessa construit sa filmographie contient la substantifique moelle de son histoire. La traçabilité des origines par voie fictionnelle, un dispositif que Gray n'a de cesse d'user pour graver ses mémoires dans le marbre. The Immigrant se réfléchit dans le miroir de Two Lovers. Une onde vient néanmoins troubler le reflet. La disposition de l'équation sexuelle place désormais en son coeur *Ewa***(Marion Cotillard)** jeune Polonaise immigrée en compagnie de sa sœur sur les terres du nouveau monde. Autour de sa personne, *Bruno Weiss***(Joaquin Phoenix)** souteneur peu scrupuleux et *Emil/Orlando***(Jeremy Renner), son cousin prestidigitateur se disputent ses faveurs. Malgré le trouble occasionné par tant d'égards, Ewa se fixe l'objectif de guérir sa sœur tuberculeuse en finançant ses soins à l'aide de son corps. Le quotidien rugueux ancrent solidement les pieds au sol des personnages de **James Gray. Les obligations familiales et scolaires de Paul Graff dans Armageddon Time ou la petite entreprise familiale des Krodator dans Two Lovers, autant de substituts à la prostitution dont est victime Ewa annihilant le sentiment de liberté. Cette liberté d'ailleurs qui s'exprime chez le réalisateur par cette volonté de s'arracher à la terre New-Yorkaise et de se rendre dans les contrées ensoleillées, persuadé que les mentalités y sont différentes. Un chemin de croix social où l'on gagne son pain en fantasmant sa future évasion. Pour Bruno Weiss, l'endroit idéal se situerait en Californie. Son dernier geste envers Ewa et sa sœur est de leur offrir ce fameux billet pour le paradis de la même manière que Léonard Krodator et *Michelle***(Gwyneth Paltrow)** tentent la fuite en avant à San Francisco ou Paul Graff fuyant pour la Floride. Tout y est donc qu'une question de point de vue. Nous vivons ce qu'il y a de pire alors pourquoi ne pas embarquer pour des terres plus paisibles suggèrent les protagonistes de Gray ? Peut-être que l'artiste de confession juive ashkénaze considère-t-il secrètement les séfarades originaires de la péninsule ibérique comme un versent du peuple plus à même d'être rayonnant voire solaire ? Au-delà des spéculations et des clichés communautaristes, les régions méditerranéennes se définissent pour le réalisateur comme une oasis. Pour la jeune Polonaise, la côte Est fut déjà vendue par son Oncle et sa Tante comme une terre de fertilité sociale, celle de la rencontre et de la procréation couplée à une certaine idée du bonheur professionnel. En transit à New-York, juste le temps de souffrir son expérience, Ewa reprendra sa route vers un autre mirage, sous le soleil, cette fois-ci.


L'histoire des Grands-parents de James Gray, eux-mêmes immigrés débarquant à Ellis Island s'applique à la part réaliste de son oeuvre. Fiction et réalité y sont intimement liées. La passion de l'auteur de The Yards pour Le Septième Art ne relève en rien d'un fétichisme de l'image (nous ne sommes pas chez Tarantino) mais d'un rapport fusionnel plus singulier. Bien que les citations discrètes affluent tout au long de The Immigrant, prédominent celle des origines jumelées à celle de la référence cinématographique. Elles ne miment pas mais réinventent constamment les endroits et les situations dans un environnement connu de tous cinéphiles. Bruno, petit Parrain d'un quartier New-yorkais, se félicite de parler Yiddish et d'entretenir de bonnes relations avec les commerçants voisins tout en misant quelques billes sur un semi-theatre en forme de bordel. Ewa, figure sainte de la Grand-mère de Gray et Chrétienne de surcroit est le double lien unissant généalogie et Cinéma. Le sillon creusé par Coppola et Scorsese trouve une descendance incarnée par des liens du sang identiques, la même violence cathartique, les mêmes malversations et la religion utilisée comme armure de lumière. Autant que les fragments auto-biographiques, c'est la passion pour le médium Cinéma qui anime The Immigrant. Dans cet esprit d'analyse qui nous fait rapprocher l'évidence, le film de James Gray entreprend de ramener Le Parrain 2ème partie à hauteur d'homme sans apport mythologique mais dans un rapport de filiation cinématographique. C'est une manière humble de concevoir la référence et de s'approprier sa nature en l'appliquant pour soi. Bien que vingt ans séparent le débarquement de Vitto Corleone et celui de Ewa (ce qui induit le grand flux migratoire Européen avant et après La Grande Guerre), le grand hors champ de The Immigrant est celui conté par l'autre Immigrant mis en scène par Charles Chaplin. Un lien de parenté commun puisqu'il date réellement de 1917 (pour une reconstitution en 1921 pour le film de Gray) mais aussi pour son mimétisme humoristique. Bruno excédé des relations étroites entre Ewa et Emil poursuit son cousin à travers la foule dans une douce folie évoquant le burlesque. (hargne du poursuivant- malice du poursuivi).


Si La Passion de Jeanne D'ARC de Carl Theodor Dreyer brise ce fil invisible de la citation en cadrant le visage de Marion Cotillard lors de la confession à la manière de celui de Renée Falconetti, c'est dans l'optique du parfait élève conscient de sa position de copiste. The Immigrant se contemple comme une mosaïque héritière des vertus culturelles aussi intime que puissante. La marque définitive du Gray.

Star-Lord09
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le 3 déc. 2022

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