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The Gray Man est donc le dernier film des frères Russo qui, après avoir tenté de saboter AppleTV avec l’horrible Cherry - devant lequel je n’ai tenu que 27 minutes, désolé - débarquent chez Netflix avec un nouveau blockbuster censé concurrencer les grosses productions de l’été. Pour cela, le N rouge a sorti la grosse artillerie ; 200 millions de budget, un casting cinq étoiles et beaucoup, beaucoup d’action.

La question des blockbusters de plateforme m’intéresse particulièrement dans la mesure où ils m'apparaissent souvent comme un stade supplémentaire dans le je-m’en-foutisme qui caractérise les productions hollywoodiennes actuelles. The Old Guard, Tyler Rake ou maintenant The Gray Man m’apparaissent comme des produits au rabais, dotés des mêmes moyens financiers que leurs homologues sortant en salles mais qui s’autorisent néanmoins un degré de finition inférieur. Et cela fonctionne. Quoique. Alors que ces méthodes de production semblaient en effet porter leurs fruits il y a quelques années, la perte d'abonnés historique de Netflix ainsi que leur quête désespérée pour trouver une nouvelle franchise à succès démontrent sans aucun doute une certaine lassitude du public, qui regarde tout mais ne trouve rien génial.

The Gray Man est donc le prétendant pour être une nouvelle super-franchise et une suite ainsi qu’un spin-off viennent d’être annoncés. Pourtant, il s’agit d’un film sans la moindre idée... Ce que Netflix oublie dans son équation, c’est que tous les bons films d’action reposent sur un concept fort qui permet à la production de se distinguer parmi la masse. “C’est l’histoire d’un type amnésique qui se rend compte qu’il possède les compétences d’un tueur à gage”, “C’est l’histoire d’un robot du futur qui doit abattre une jeune femme avant qu’elle donne naissance au meneur de la résistance”, “C’est l’histoire d’un mec qui se venge car on tue son chien”, “C’est l’histoire d’un enfant qui rentre dans l’univers de son héros de films d’action préféré”. Vous avez reconnu directement les films grâce à ces loglines ? Normal, ce sont ces concepts, aussi simples soient-ils, qui permettent aux films d’être identifiables, d’être autre chose qu’un bruit de fond fade qui n’intéresse personne. Ce sont ces concepts qui amènent les films vers les sentiers du succès et de la mémoire collective. Ce sont précisément ces concepts qui sont absents de Tyler Rake, Red Notice ou notre cher homme gris. Je défie quiconque de donner envie à quelqu’un de regarder The Gray Man sans mentionner le casting ; c’est mission impossible, sans mauvais jeu de mot. Et c’était la même chose pour les précédents. On colle une étiquette “film d’arnaque”, “voyage dans le temps” ou “John Wick-like”, on y ajoute l’argent, le gros casting et on espère que cela marche. Alors oui, sur le court terme, les gens regardent les films, c’est vrai. Mais qui s’en rappelle ? Qui en réclame d’autres ? Tous ces films sont des sous-produits qui ont finalement parfaitement leur place sur Netflix. Qui aurait été voir The Gray Man,Red Notice, The Adam Project (vous l’aviez déjà oublié celui-là, avouez) ? Certes, le casting aurait attiré certains amateurs mais pensez-vous réellement que des films pareils auraient pu rentabiliser un budget qui tutoie les 200 millions ? Peu probable. Et quelque part, ce constat est rassurant. On a quand même - un peu - besoin de cinéastes au cinéma.

Plus spécifiquement, que propose donc ce Gray Man ? Et bien le film se retrouve à la croisée des chemins, entre son tueur increvable comme John Wick, son homme traqué par la CIA comme Jason Bourne et sa volonté d’aller aux quatre coins du monde comme Mission Impossible. Un déluge d’influences qui débouche forcément sur un cocktail insipide, qui a le goût de tout et de rien à la fois. L’histoire enchaîne les poncifs sans jamais se préoccuper de la moindre question de dramaturgie ou d’originalité. Avec son absence totale de rebondissements inattendus, le film arrive même à être plus linéaire encore que la moyenne. Pas de surprises de ce côté là donc ; trahison, poursuites, clé USB, organisation secrète, anti-héros gentil, méchant très méchant, mentor qui meurt, fille à sauver. Bref, on connaît.

Formellement, le film semble avoir du mal à trouver son style et recopie paresseusement ce que la concurrence propose. Tantôt, les Russo tentent des plans plutôt longs, qui évoquent les chorégraphies lisibles de John Wick, tantôt le film adopte un style très cut et chaotique qui rappelle plutôt la frénésie de la saga de Greengrass. Dans les deux cas, le film se ramasse violemment sur le petit jeu des comparaisons ; les plans longs démontrent un manque de chorégraphie et de brutalité tandis que les scènes avec plus de montage basculent fréquemment dans l’illisibilité. C’est d’autant plus dommage que le film aligne parfois quelques petites idées au niveau de l’action ; être menotté face à une vingtaine d’assaillants, regarder dans le reflet d’un miroir pour savoir où tirer en-dessous de soi, se battre avec des feux d’artifice. Malheureusement, ces petits sursauts d’inventivité ne sont jamais pris en charge par la mise en scène, qui reste désespérément plate et fonctionnelle.

Le long-métrage souffre également d’un manque d'identité visuelle évident. Ainsi, la plupart des décors sont grisâtres et ternes, jamais mis en valeur par l’absence de photographie, et les quelques éclairages plus colorés restent prisonniers de cette esthétique néon pseudo-luxueuse qu’on voit dans pratiquement toutes les productions Netflix. Je ne parlerai pas des effets spéciaux, franchement embarrassants, qui poursuivent cette longue descente aux enfers des images de synthèse entrevue depuis l’avènement de Marvel. A dire vrai, la laideur des effets visuels actuels me posent question tant il est possible de trouver bon nombre de films moins chers et plus vieux - disons dix ans- qui proposent de meilleurs effets spéciaux que ce que nous a servi Marvel et Netflix ces dernières années. Au hasard ; Star Trek, Prometheus, Transformers, Pacific Rim, Oblivion…Le pire de ce Gray Man est sans aucun doute cette chute depuis l’avion, énième repompage de la scène phare d’Uncharted 3 qui offre un aller simple vers le début des années 2000, l’ère des modèles 3D en plastique et des fonds verts en mousse.

Au niveau du casting, le film est un poil plus convaincant. Si Wagner Moura et Ana De Armas sont cruellement sous-exploités, Ryan Gosling est plutôt sympathique dans son rôle pourtant très creux de tueur à gage au grand cœur tandis que Chris Evans s’avère assez réjouissant dans sa caricature de psychopathe. Les deux interprètes ont pour eux les quelques rares lignes de dialogue amusantes du film. On appréciera également la présence de Billy Bob Thornton, qui a franchement la tête de l’emploi, à défaut d’avoir une grande utilité dans la narration. Rien de fou mais mine de rien, cela permet tout de même au film de se hisser un cran au-dessus de Red Notice, qui avait pour désavantage d’avoir le trio d’acteurs le plus insupportable et incompétent du Hollywood actuel.

En résumé, que retenir de The Gray Man ? Pas grand chose hélas. Une énième tentative avortée pour Netflix de jouer dans la cour des grands alors même que tout dans le projet évoque une sous-oeuvre qui n’aurait eu aucune chance au cinéma. Si Netflix a trouvé quelques marques fortes au niveau des séries - Stranger Things, Narcos ou Better Call Saul - la société est encore déficiente au niveau du cinéma et on attend toujours la franchise populaire qui fera honneur à la plateforme. Du côté d'Apple TV, le prochain gros blockbuster d’action, Argylle, qui invitera Henry Cavill sous la caméra de Matthew Vaughn pour une autre histoire d’action-espionnage changera-t-il la donne ? Rien n’est moins sûr.

Newt_
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le 6 août 2022

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