L'esthétique suffit-elle à faire un film ?

Le cinéaste hongkongais Wong Kar-wai jouit d’une réputation rare dans les cercles cinéphiles américains et européens. Sans doute qu’en amateur averti du cinéma classique hollywoodien, il n’est pas tout à fait étranger aux cadres cinématographiques occidentaux. Depuis 1988, il base l’intégralité de sa filmographie sur la thématique de l’amour impossible qui culminait en 2000 avec « In the mood for love ». Après la décevante aventure américaine « My Blueberry Nights » porté par Norah Jones et Jude Law en 2007, Wong Kar-wai nous revient cette année avec un film de wing chun, « The Grandmaster », elliptique et partielle biographie d’Ip Man, mentor de Bruce Lee.

Pour ce film, Wong Kar-wai a fait preuve d’une certaine ambition en voulant conjuguer le récit biographique d’Ip Man, celui des personnes qui gravitent autour de lui notamment Gong Er (interprétée par l’excellente Zhang Ziyi) et l’histoire de la Chine des années 1930 aux années 1950 dont les évènements viennent résonner dans la propre vie du personnage principal. En résulte un brouillon narratif et chronologique où certaines époques passent plus vite que les autres. La partie sur l’occupation japonaise de la Chine et les répercussions sur la vie d’Ip Man me paraît d’ailleurs la plus réussie sans toutefois égaler les vingt dernières minutes où le récit se resserre de façon intimiste sur la relation impossible entre Ip Man et Gong Er.

N’est-ce pas là, dans l’intime, que Wong Kar-wai excelle ? N’est-ce pas en filmant simplement deux êtres qui se cherchent sans se trouver qu’il est le meilleur ? En captant avec son œil avisé et sa caméra les gestes et les sentiments qui transparaissent sur les visages et les corps de ses acteurs. Car l’esthétique de son film, si elle est présente, n’est-elle pas un peu froide et sans âme dans ce film ? Pire encore, l’hyperesthétique de Wong Kar-wai rend parfois illisible les scènes de combat. En témoigne la scène d’introduction, pourtant globalement très bonne, mais qui nous perd bon nombre de fois dans des ralentis et un montage imparfait qui segmentent l’action et la rendent incompréhensible.

Pour autant, à d’autres moments, la chorégraphie des combats est bien plus aboutie. La finesse des dialogues et l’implication personnelle de Wong Kar-wai pour raconter l’histoire de son pays élèvent certaines scènes à défaut de tout le film car le fil conducteur est perdu en permanence. L’entreprise d’un tel projet était louable, la réalisation n’est qu’imparfaite.
potaille
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le 26 avr. 2013

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