Pareil à ce ressort dramatique fait de crème pâtissière qui jalonne son intrigue, The grand Budapest hôtel a l’allure d’une friandise que l’enfant se nichant dans nos caboches d’adulte se plait à croquer goulument pour en découvrir les saveurs que chaque strate renferme précieusement.

Le cinéma de Wes Anderson est l’alliance subtile d’éléments disparates dont le mariage semble si improbable que lorsqu’il parvient à trouver harmonie devant ses objectifs agiles, la magie opère. De son esprit d’esthète conteur, plus intéressé par la dynamique formelle de son entreprise et l’ambiance qui en découle que par son fond à proprement parler, émerge une œuvre empreinte d’un naïf burlesque amusant dont l'objectif est uniquement d'initier un stimulant voyage imaginaire. Et c’est à mon sens ce qui fait de The Grand Budapest Hôtel une œuvre mature, tout simplement parce qu’elle s’assume sans chercher à se travestir. Aussi quand le sentiment s’invite dans le décorum acidulé du cinéaste, c’est souvent au moyen d’une pirouette, la larme n’ayant jamais le temps de s’installer que l’acte suivant, encore plus mouvementé, se met en place.

Certains reprocheront à Wes Anderson de ne pas se renouveler, d’user de sa recette jusqu’à ce qu’il manque d’ingrédients ou de marmites. Mais sa quête constante de l'aboutissement de son univers est pourtant habitée par des références qui diffèrent à chaque nouvelle marche qu'il franchit ; The Grand Budapest Hôtel étant sans aucun doute celui qui en exploite le plus, Wes Anderson y prenant un malin plaisir à trimbaler ses trublions aux ganaches surréelles dans des univers qui n’ont pas grand-chose en commun, mais se marient pourtant à merveille. De cet hôtel dont les portes inquiétantes lui confèrent des allures de château hanté, à ce passage en prison, hommage à peine dissimulé au film de Jaques Becker, dont il reprend la scène d’évasion, en l’assaisonnant d’une poudre burlesque dont il a le secret, jusqu’à cette poursuite hivernale que n’aurait pas renié un coyote Tex Averien, The Grand Budapest Hôtel ne manque pas de matière.

A tous ces clins d’œil généreux s’ajoutent des personnages hauts en couleurs, l’occasion pour Wes Anderson de faire jouer ses relations, entre invités vedettes témoins de son succès et compagnons de galère, fidèles au poste depuis ses début, à l’image du truculent Bill Murray qui assure sa scène habituelle ou du combo Jason Schwartzman / Owen Wilson, présents à l’occasion d’un petit cameo sympathique. Mais dans The Grand Budapest Hôtel, ce sont deux petits nouveaux qui portent le film sans démériter une seule seconde puisqu’ils trouvent sous la houlette d’un Wes Anderson toujours inspiré l’occasion de s’exprimer pleinement. Enfin, au rang d'invité de luxe pas forcément attendu dans l’univers carton blindé du cinéaste, Harvey Keitel prend grand plaisir à jouer le bagnard athlétique, leader de confiance, vieux briscard à l'origine d'une évasion terriblement amusante.

The Grand Budapest Hôtel est un film somme de l'oeuvre de Wes Anderson puisque s’y exprime avec grande maîtrise tout ce qu’il a expérimenté avant lui, que ce soit cette palette de couleur qui lui est si caractéristique et qui avait trouvé son plein essor dans Moonrise Kingdom ou la facilité avec laquelle il déconstruit un réel par l’absurde en s’inspirant du monde de l’animation, qu’il avait défriché avec Fantastic Mr Fox. Qu’on se le dise, The Grand Budapest Hôtel est un film de rêveur par excellence, à déguster comme il vient, sans jamais en attendre une quelconque entourloupe ou un message caché qui trouverait son sens après-coup. Non, le plaisir Andersonien est immédiat et constant, initié par le premier plan et entretenu jusqu’à son carton final pour insuffler à l’âme chanceuse qui en est la spectatrice une bonne humeur qui ne s’estompe que très tard après la séance.
oso
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le 10 déc. 2014

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oso

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