Pouvoir découvrir un Wes Anderson au Festival de Cannes fait forcément son petit effet. L’attente était décuplée par le report d’un an du film, consécutif à l’annulation de l’édition 2020 du festival. Présenté en Compétition, The French Dispatch et son casting XX(X)L représentait l’une des plus grosses attentes de l’année pour la plupart des spectateurs. Pour un résultat très, très décevant.


The French Dispatch est un pur concentré de toutes les recherches plastiques de Wes Anderson ; en ce sens il ravira la rétine des amateurs de son esthétique si particulière. On aura le droit à du noir et blanc, des couleurs pastels, de l’animation, des plans fixes bien symétriques, des travellings avants, arrières et latéraux millimétrés, du split-screen, des scènes en « freeze » (où la caméra navigue sur une scène figée en plein mouvement) du plus bel effet et qui forcent le respect en termes de composition des cadres et de chorégraphie, etc. Tout le savoir-faire artisanal d’Anderson est convoqué et de nombreuses scènes sont de franches réussites formelles. C’est indéniable. Malheureusement, un film ne peut pas se contenter d’une mise en scène léchée ; surtout quand il s’agit de Wes Anderson, qui nous a tellement habitués à l’excellence sur ce point, que ce n’est presque plus un émerveillement mais une case du cahier des charges à cocher.


The Grand Budapest Hotel réussissait à conjuguer ce formalisme avec une histoire haletante et des personnages touchants, un propos de fond intelligent sur l’histoire et la transmission, des acteurs investis, etc. The French Dispatch échoue sur tous ces points, c’est-à-dire sur tout le reste une fois sa beauté plastique saluée. L’histoire transversale est inexistante, et l’heure quarante n’offrira qu’une succession de sketchs qui iront decrescendo en termes de qualité, après une ouverture convoquant Tati (l’immeuble de Mon Oncle, le gag du vélo de Jour de fête, l’éveil de la ville de Playtime) et un premier segment convaincant. Le fil rouge consacré à l’intérieur d’une rédaction du journal « The French Dispatch » est d’une pauvreté terrible, déployant une intrigue vue et revue qui ne semble qu’être un prétexte pour le cinéaste pour s’adonner à trois petits courts-métrages indépendants, dans lesquels il pourra caser le plus possible de ses acteurs favoris.


La première histoire est de loin la plus réussie, la seule qui soit tenue de bout en bout et qui tente de raconter quelque chose : un artiste en prison (Benicio Del Toro) faisant tourner en bourrique un riche amateur d’art (Adrien Brody), qui promet de le faire sortir à condition qu’il crée une nouvelle œuvre dont il s’attribue d’avance la possession. À noter la très bonne performance de Léa Seydoux en gardienne de prison devenant muse de l’artiste. Le trio fonctionne à merveille, les dialogues arrachent quelques sourires et la mise en scène, pas trop clinquante pour une fois, se met véritablement au service de cette petite critique du marché de l’art illustrant le caractère libérateur de la création pour un détenu. La seconde histoire, déjà plus déséquilibrée, aurait pu s’inscrire dans ce que Wes Anderson sait faire de mieux : l’insouciance rebelle de la jeunesse contre un monde adulte diabolisé (on pense à Moonrise Kingdom et Rushmore, ou à l’histoire d’amour adolescent de The Grand Budapest Hotel). Une réflexion sur la poésie et la politique, à travers le processus créatif non plus artistique mais littéraire (la rédaction d’un manifeste poético-militant). Si quelques scènes sont bien foutues (une guerre réglée par partie d’échecs à distance), ce segment tire en longueur et les acteurs peinent à lui insuffler un rythme. Frances McDormand et Timothée Chalamet, les deux têtes d’affiche de cette histoire, sont fantomatiques et leur relation ne fonctionne jamais. Enfin, le troisième segment, vraiment catastrophique, finit d’enterrer le film qui n’aura été qu’une lente descente aux enfers, pour aboutir à ce polar paresseux, où tous les personnages sont sous-exploités, et où les scènes d’action en animation (franchement laide) donnent l’impression qu’Anderson n’avait plus le temps ni le budget pour offrir quelque chose d’abouti.


The French Dispatch n’est jamais vraiment drôle, encore moins émouvant, fade au possible d’un point de vue musical (Alexandre Desplat en très petite forme) ; avec des acteurs qui sont là soit pour le cachet, soit pour le plaisir de tourner avec leur ami, mais en aucun cas pour s’impliquer dans leurs rôles (à l’exception du premier trio, quand même) ; avec un formalisme qui s’essouffle et tourne à vide (les transitions n&b-couleurs ne semblent suivre aucune logique, pas même de temporalité), et une écriture d’une faiblesse à laquelle Wes Anderson ne nous avait certainement pas habitués. The French Dispatch n’est pas fondamentalement mauvais, mais assurément décevant. On est en droit d’être exigeants et d’en attendre plus de ce cinéaste si intelligent et aux personnages habituellement si touchants. Le film se paie même le luxe d’être mal rythmé et ennuyeux malgré sa courte durée et sa cadence effrénée, qui contrairement – encore une fois – à The Grand Budapest Hotel, n’a rien d’euphorisant mais tout d’indigeste. Un Wes Anderson en pantoufles qui semble avoir épuisé son propre cinéma, caricaturant son style et peinant à réinventer ses thématiques. Mais il fallait peut-être cela pour lui faire tourner une page et, pourquoi pas, rebondir avec quelque chose de différent.


[Article à retrouver sur Le Mag du ciné]

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le 27 oct. 2021

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Jules

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